Document sans nom
patrickbays.ch
Si les people parlent de leur cancer, pourquoi pas moi ?
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a bad news

Août 2010

Je me résous à passer un check-up que je repousse depuis des mois. À cause de la trouille des résultats. J'ai commis pas mal d'excès ces derniers temps et je suis en surcharge pondérale. Par ailleurs, la présence pas très réjouissante d'un ganglion enflé sur le côté gauche du cou m'obnubile un peu. Des recherches internet associées à cette découverte ne sont pas faites pour me rassurer.

En plus, à la même époque, on parle du cancer partout: telle star américaine a une tumeur à la gorge, tel médecin très médiatisé est en phase terminale, ou encore ce psy canadien qui se raconte dans un livre, voire cette chanteuse australienne qui fait son come-back après un cancer du sein. Il semblerait que ce soit au top d'être un people et de déclarer son crabe. Ça ressemble à une nouvelle forme de comm' visant à les rendre plus humains et banals aux yeux du public. On découvre également une nouvelle thérapie contre le cancer machin, un nouveau mode de détection avancée, etc. Toujours est-il que c'est dans l'air du temps.

À cela s'ajoutent des intuitions comme celle que mes vacances en Thaïlande étaient les dernières ou encore récemment, celle où je ne me voyais pas être présent à Noël 2011. Bref, la combinaison de tous ces facteurs et une imagination débordante me persuadent que moi aussi j'ai un cancer…

Je vais finalement procéder aux classiques analyses médicales à l'issue desquelles, je vis une semaine sur des charbons ardents dans l'attente des résultats. Que je reçois un vendredi et qui ne sont pas bons: un taux de cholestérol qui explose, une hypertension excessive, un début de diabète, des kilos en trop, tous les indicateurs sont au rouge et l'alarme résonne dans ma tête. Mais rien n'indique un cancer possible.

Après m'avoir sermonné sur mon état général, donné une ordonnance digne d'une liste de courses pour famille nombreuse à la veille d'un week-end prolongé, le médecin s'apprête à clore l'entretien. Il me demande toutefois si j'ai quelque chose à lui demander. Je pointe du doigt le ganglion enflé sur la gauche du cou:

- "Oui, j’ai ça depuis depuis 3-4 mois environ.

- Oh, ce n’est pas grave apparemment. Vous avez été griffé par un chat ?

- Oui, nous en avons deux et je joue beaucoup avec eux.

- En tous cas, ça ressemble à la maladie des griffes du chat, mais je vais demander un examen par ultrasons à l'hôpital."

Il appelle, me regarde pour convenir de la date de la séance, et me donne rendez-vous pour la semaine suivante afin de discuter des résultats. Je le quitte nettement soulagé, malgré mon état de santé peu brillant.

Quelques jours plus tard, je me rends à la séance d’ultrasons sans état d’âme particulier. Toutefois, lors de l’échographie, le ton utilisé par la radiologue n’est pas fait pour me rassurer.

- "Vous fumez ?

- Non, j’ai arrêté il y a plus de 7 ans. Mon médecin m’a parlé de la maladie des griffes du chat, c'est possible ?

- Certainement pas, c’est rarement localisé à cet endroit. Ah tiens… il y en a d’autres à droite et sous la glotte. Il faut que je vous examine encore sous les bras… non, rien. Voila, c’est terminé, j’enverrai les clichés à votre médecin, merci, au revoir, bonne fin de journée."

Elle me donne des kleenex afin d'enlever le gel qu’elle a généreusement étalé et s’en va.

Après plusieurs jours, je retourne chez le généraliste. Les radios n’ont rien détecté si ce n’est la présence d’autres ganglions. Mais rien d’alarmant pour le moment. Il prescrit un examen sérologique destiné à déterminer si mes adénopathies sont d’origine virale. Si c’est le cas, il restera à déterminer de quel virus il s’agit. Quelques jours plus tard, je retourne chez lui pour la prise de sang et une nouvelle période d’attente commence. Le médecin m'appelle un soir pour m'informer que les examens sont négatifs.

Merde ! Pas bon ça !

- "Je vous fixe un rendez-vous à l'hôpital pour une biopsie afin de voir de quoi il s’agit. Ils vous contacteront."

Bon, soit, on verra...

Quelques jours plus tard, je reçois une convocation pour le 21 septembre.

Mais, en pleine réunion professionnelle plutôt agitée, la secrétaire du généraliste m'appele pour m'informer que le rendez-vous du 21 septembre est reporté au 6 octobre. Ouf ! Ça signifie que le médecin de l'hôpital a pris connaissance de mon cas, qu'il ne l’a pas jugé grave et qu'il a préféré retarder l’examen.

- "Ah bon pourquoi ? C’est bon signe alors ?

- Je ne peux pas vous dire, le médecin qui doit vous examiner est en vacances.

- Ah...

- Par contre, je vous fixe tout de suite un rendez-vous chez nous, le vendredi 8 octobre à 11h30, ça va pour vous ?

- Oui, je note, merci."

Lorsque je raccroche, j'ai juste envie d'étrangler mon interlocuteur, un petit financier arrogant et monté sur talonnettes, qui me demande si j'ai "des problèmes de santé". Nonon ducon ! De toute manière ça ne te regarde pas alors... Je résiste quand même à la tentation de lui répondre que si je dois me rendre à l'hôpital c'est pour soigner le sida de mon petit orteil gauche...

6 octobre 2010

C'est jour de grande biopsie ! Je me rends à l'hôpital, aussi tendu qu'une corde à linge..

J’ai toujours détesté ces endroits à cause de l'odeur qui y règne: un mélange de désinfectant, de produit de nettoyage et de désodorisant qui prend à la gorge sitôt les portes franchies. Et chaque fois qu'un reportage présentait une intervention chirurgicale, je plongeais mon regard de myope dans la contemplation du programme TV que j'avais sous les yeux ou je détournais le regard vers le mur.

Quelques années auparavant, je devais réaliser le site internet d'un hôpital régional. Lors de la première séance de coordination, j'avais demandé des photos du bâtiment, du lieu, des chambres, de la réception, etc. afin d'illustrer le site. Le directeur était tout content de me dire:

- "Oh mais vous savez, on peut vous délivrer toutes les autorisations, vous pourrez faire des photos en salle d’op’ par exemple".

Inutile de dire que j’avais failli tomber dans les pommes à la seule idée de me retrouver en pleine intervention.

Bref, moi qui déteste le milieu hospitalier, je suis servi, j’y entre, non pas pour rendre visite à quelqu'un, mais pour y subir un examen dont les résultats peuvent avoir des répercussions relativement importantes.

Joie !

Je m'oriente du mieux que je peux dans ce labyrinthe pour enfin atteindre la salle d'attente du service ORL, un étage plus bas. Je m'annonce, et j'attends mon tour, de plus en plus anxieux. Outre le but de ma visite qui n'est pas vraiment à prendre à la légère, le cadre de lieu ne prête pas vraiment à sourire de bonheur: je suis dans une salle sans lumière naturelle, éclairée aux néons, dans un décor digne des années 70, et qui donne l'impression de ne pas avoir été vraiment rafraîchi depuis… Pour faire passer le temps et me faire croire que tout va bien, je parcours des magazines qui remontent aux hiéroglyphes égyptiens. Les médecins vont et viennent, qui, apporter un dossier à la réception, qui, chercher un patient ou passer de salle de consultation en salle de consultation.

J'entends que l'on m'appelle: le Docteur François Emery (nom fictif, comme presque tous ceux mentionnés dans ces lignes), chef de clinique, vient me chercher et me dirige vers une salle d'examen. J'enlève le haut, une assistante me tartine de gel et le médecin effectue une nouvelle séance d'ultrasons ainsi qu'une biopsie des ganglions, rien de bien douloureux. Il me dit qu'il s'agit sans doute juste d'une inflammation des ganglions. Dans ce cas, une intervention chirurgicale sera nécessaire pour les enlever et après quelques jours d'hôpital, je pourrai sortir. En partant, je lui demande toutefois s'il peut s'agir d'un cancer. Le ton neutre utilisé n'est pas fait pour me rassurer:

- "Aaah ça, on verra lors des analyses".

Bon, pour l'instant je retourne au travail, l'esprit aussi détaché que possible en attendant vendredi, où j'en saurai enfin davantage sur ces putains de ganglions grâce aux résultats de la biopsie que me communiquera mon généraliste.

Le lendemain, l'hôpital m'appelle:

- "Le Docteur Emery voudrait vous revoir Monsieur Bays.

- Ah ? Il ne peut pas me communiquer les résultats par téléphone ?

- Non, je ne les ai pas moi-même, il m'a juste demandé de vous convoquer pour mardi 10h15. C'est possible pour vous ?"

Vu la tournure des événements, j'accepte. Après tout, c'est peut être juste pour planifier une extraction des ganglions comme il me l'avait dit…

8 octobre 2010

Nous sommes vendredi et j'ai rendez-vous à 11h30. Dans la salle d'attente du généraliste, j'admire les couleurs automnales des arbres, il fait un temps splendide, la température est agréable. Ce serait une journée idéale pour une ballade photos au bord du lac.

Et là, en regardant les fifis sur les birlibaums, je me mets à paniquer, la tuile est imminente, cette fois c'est certain, j'y ai droit, je le sens !

C'est alors que le médecin vient me chercher.

Dans son attitude, je sais que j'ai raison: un "Bonjour Monsieur Bays" plus discret, une poignée de main plus longue, le fait qu'il me précède dans son cabinet (alors que d'habitude et même depuis cette visite, il me laisse toujours passer avant lui), le silence devient pesant, l'ambiance un peu lourde.

Une fois dans le bureau, il s'installe, ne prend même pas la peine d'ouvrir le dossier qu'il a sous les yeux, me regarde et sourit gentiment. Pas un sourire comique, non, un sourire qui se veut rassurant, l'air de dire "je suis là, je vais vous aider, je ferai tout ce que je peux pour vous aider".

Pas besoin de me faire un dessin.

Il connaît les résultats de la biopsie et il ne faut pas une heure d'explication pour me les détailler…

- "Ce n'est pas une bonne nouvelle Monsieur Bays, il s'agit d'un cancer."

Sans détour, comme ça, brut de décoffrage !

Bam ! Dans la gueule !

Je m'y attendais, mais l'entendre en live de la part d'un homme en blanc, c'est autre chose. Je me sens changer de couleur, presque vaciller sur ma chaise, je suis tétanisé, mon cœur de battre doit s'arrêter ou passer à 359 pulsations au cours des 3 secondes qui suivent, ma respiration s'arrête.

Le médecin ne me laisse pas parler et continue:

- "Mais on va se battre, c'est un combat qui va durer plusieurs années, vous me comprenez, on va se battre. Maintenant vous êtes dans le déni, vous n'acceptez pas votre maladie, mais vous verrez, nous allons vaincre ce cancer.

- Gwlnfprsssttt gnweah !"

Je prononce une bouillie de mots incompréhensibles parmi lesquels j'arrive à formuler un vague "Je m'y attendais un peu depuis quelques temps. Surtout après les examens qui ont été faits jusque-là... ". Le tout sans trop de convictions, car pour l'instant c'est encore abstrait. Tout pareil que si j'avais gagné le jackpot à l'Euro millions. C'est tellement énorme que l'on ne peut pas y croire. Mais ce n'est pas le même gros lot que je touche en ce moment.

Il se prononce sur un premier diagnostic: "Je pense qu'il s'agit d'un lymphome".

J'en étais sûr. Il correspond à ce que j'avais vu au cours de mes lectures perverses sur internet: les ganglions, les signes de fatigue, etc. Bon, ça me rassure car bien que le traitement soit long, environ 1 an, son issue est généralement bonne pour le patient Ce sera pénible, mais je pourrai m'en sortir. Du moins c'est ce que je pense. Mais le médecin continue à parler. Je l'entends en arrière-plan mais je ne l'écoute plus vraiment, je suis en état second. Si j'ai retenu 10 % des informations, c'est beaucoup. Il me parle de la consultation du mardi suivant à l'hôpital, me dis que je peux venir le voir aussi souvent que je le souhaite, et enfin, il me libère.

Je me lève, je sors, je lui sers la main et je le remercie.

Oui, je le remercie ! Non mais c'est pas vrai ! Il m'annonce que je suis porteur d'une saloperie de tumeur et moi je le remercie ! Quel con, mais quel con, mais quel con !

Mécaniquement, je ressors de là un peu sonné, incapable d'assimiler cette réalité à laquelle pourtant je m'attendais. Non, en fait, j'imaginais le pire en espérant que ce ne soit pas le cas, que ce soit moins grave. Maintenant ce n'est plus du domaine de l'hypothèse mais de la réalité. Froide et inéluctable.

Cancer CAN-CERCANCER !
(ou sa pu*** de mère en shorts chez Mickey)

Six lettres, deux voyelles, deux syllabes. Mot qui ne signifie rien encore, il est abstrait, il concerne les autres, les vieux, les malades, mais pas moi, bordel !
Il s'agit d'avertir Lena…

Pfft… pas facile, pourtant elle y tenait absolument. Bon, j'y vais, je l'appelle, courage:

- "Oui, c'est moi … non ça va pas: c'est un cancer. 

- Mais tu ne mérites pas ça, pas toi !

- Mais personne ne mérite ça, personne !

- Et qu'est-ce qu'il a dit d'autre ?

- Il a parlé de lymphome, un cancer qui se soigne bien d'après ce que j'ai lu sur internet."

Elle me bombarde de questions, mais je ne peux rien lui dire de plus, si ce n'est confirmer la consultation du mardi suivant.

Il n'est pas loin de midi et comme elle a rendez-vous au restaurant pour l'anniversaire de l'une de ses amies, elle me demande si je veux les accompagner.

- "Non, je n'ai pas faim, je ferai pâle figure, je crois. Je préfère retourner au bureau et me renseigner un peu mieux sur ce que j'ai.

- Bon, comme tu veux. A ce soir, tu m'appelles si ça ne va pas, hein ?

- Oui promis, à ce soir."

Coup de fil rapide, sec et un peu dur, rendu encore plus abstrait par le son de sa voix déformée par l'électronique. Je ne réalise pas vraiment ce qui m'arrive et je ne sais pas encore quelle attitude adopter: j'aurais sans doute dû rentrer à la maison, mais non, j'ai fait comme si de rien n'était, comme après l'annonce d'une petite grippe…

Je saute dans le bus qui me conduit au bureau. Une fois arrivé, seul, je craque, je ne mange rien, je passe l'après-midi à surfer à la recherche d'informations supplémentaires sur les lymphomes, bref je tourne en mode automatique. Très vite, je réalise que je n'ai rien de plus que ce que j'ai lu jusqu'ici, si ce n'est dans le domaine du catastrophique: un site qui raconte la vie, le traitement et la mort d'une adolescente atteinte d'un lymphome, un blog de quelqu'un qui relate par le détail sa maladie, une autre personne qui annonce plus de quatre-vingt chimio (!) Tout ça me fait un peu peur. Finalement, je décide de ne plus surfer tant que je n'en sais pas davantage.

Et si toi, lectrice et -teur, tu es atteint d'une telle saloperie, ne va SURTOUT PAS chercher des infos sur internet, je crois que c'est le premier conseil que devraient donner les médecins.

Car tu consulteras des pages qui te paniqueront, ou tu en liras d'autres qui ne te concerneront pas du tout. Et qui risquent de te paniquer également.

Tout se bouscule en moi: je suis partagé entre la résignation et un espoir éventuel, je me demande quelles sont les démarches à effectuer vis-à-vis des assurances, auprès de mon employeur. Je pense à tout et à son contraire, comment ça va se passer sur le plan financier, comment vais-je surmonter le traitement (que je ne connais pas encore évidemment) etc. Bref, ça phosphore pas mal dans ma tête.

L'après-midi touche à sa fin. Je rentre à la maison et Lena revient avec son amie. Nous ne l'informons pas encore: il y a mieux à dire que "Bon anniversaire hein ! Ah et au fait je vais mourir d'un cancer dans quelques mois, sinon ça va ?"

Après son départ, Lena et moi tombons dans les bras l'un de l'autre. Elle avoue avoir pleuré comme une madeleine, étrangement moi pas trop juste quelques larmes. Non pas parce que je suis un homme qui se la pète et qui ne pleure jamais, mais plutôt parce que je suis vraiment préoccupé par ce qui m'arrive et parce que mon esprit était focalisé sur la recherche d'informations. Et nous parlons, nous parlons, mais de quoi, je ne m'en souviens plus. Le vide total.

Pour l'instant nous ne réalisons pas vraiment. Nous sommes toujours dans le déni. Enfin moi en tous cas, parce que Madame est d'une logique à toute épreuve. Il est même probable qu'elle a déjà planifié le traitement et toutes les conséquences qu'il pourrait avoir sur notre vie privée. Ou alors, elle attend simplement la suite sans imaginer toutes les variantes possibles de notre avenir. Etre informaticienne et avoir une logique à toute épreuve qui lui fait deviner la chute des gags bien à l'avance, ça aide parfois. Seuls les romans policiers ont échappé à son sens aigu de la déduction. Avec les années, j'ai remarqué que sa logique a fini par déteindre en partie sur moi... Mais certainement pas à ce moment-là…

Comme presque tous les vendredis soirs, nous allons faire les courses du week-end. La vie continue dans toute sa monotonie.

Le week-end qui suit reste flou en tous cas, nous essayons de nous rassurer mutuellement, nous faisons les sorties habituelles, nous zappons devant la TV, il y a pas mal de silence aussi. À force de gamberger, le moral oscille.

Tout raisonnement logique est impossible. Surtout qu'à ce moment:

1. Je sais uniquement que j'ai un cancer
2. Mais j'ignore lequel
3. Et enfin, je n'ai absolument aucune idée du traitement auquel j'aurai droit.

Mais je suis incapable d'en rester là et d'attendre stoïquement la suite des événements. Mon esprit carbure et part dans tous les sens. Tour à tour se succèdent la panique, le surréalisme de la situation, la confusion, la sérénité (le soir surtout -à cause de l'effet des calmants que j'ai pris depuis vendredi), la résignation (bon, ben va falloir passer par la chimio, le bloc opératoire et tout le toutim). Je passe également par des instants plus optimistes (ce n'est pas trop tard pour soigner cette merde, ça ira...).

Parfois, je me demande si ce n'est pas une leçon ou une étape supplémentaire de la vie. Je me mets à faire de la psy de grande surface, idiote, inutile et totalement improductive.

L'urgence n'est pas de savoir pourquoi, comment, et à cause de quoi c'est arrivé, mais bien de soigner cette merde !

 
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