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patrickbays.ch
Si les people parlent de leur cancer, pourquoi pas moi ?
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informer mon entourage

11 octobre 2010

Nous sommes lundi, je retourne au bureau et là, tout devient franchement surréaliste: écouter mes collègues raconter leur week-end ou commenter l'actualité (ah bon ? Il s'est passé quelque chose ?), faire semblant que tout baigne, effectuer mes tâches, assister à une réunion avec en arrière-plan l'idée que dans quelque temps, je devrai partir à l'hôpital pour entamer une chimio contre mon cancer.

Je ne pense qu'à ÇA. Avec la furieuse envie de hurler: ah au fait, j'ai un cancer, alors foutez-moi la paix avec vos conneries !

Et comment faire pour informer ma famille, mes amis avant qu'ils ne l'apprennent par une voie détournée ? Je me vois mal les appeler un à un pour leur expliquer la chose et passer une heure à les écouter paniquer, m'encourager, me plaindre, voire pleurer et moi faire pareil de mon côté. Donc le téléphone, exclu. Un courrier papier ? Non, pas vraiment non plus… Après réflexion je décide d'utiliser l'e-mail, formule un peu sèche, froide, impersonnelle, mais qui me permet de communiquer rapidement avec le plus grand nombre. Ouais, ce sera la meilleure solution.

Le soir, je rentre, épuisé, vidé. Après l'inévitable séquence de câlins, ronrons, boîboîtes avec les chats, je m'assieds à mon bureau et je rédige le premier mail d'une longue série:

Bonjour,

Il y a des e-mails qui se suivent et qui ne se ressemblent pas.

Celui-ci en fait partie et je n’ai pas une bonne nouvelle à vous annoncer.

En bref, j’ai un cancer.

Boum ! Wala, le mot est lâché, autant aller droit au but.

Je ne sais pas encore quel cancer, les médecins penchent pour un lymphome: j’ai un ganglion qui a grossi sur le cou, sous la mâchoire gauche et d’autres qui ont été révélés par ultrasons. Je dois prochainement passer un scanner afin de voir si d’autres ganglions sont atteints et me faire enlever le ganglion enflé. Seulement à ce moment-là il sera possible de dire de quel cancer il s’agit.

Voilà pour l’instant.

Croyez que je suis conscient de la brutalité de cet e-mail, mais je n'avais pas le courage d'en parler avec chacun d'entre vous, j'ai préféré cette méthode plus directe. Et en même temps, il fallait que "ça sorte".

Donc si vous êtes sans trop de nouvelles de notre part en ce moment (certains me diront qu’ils ont l’habitude…) c’est normal, c’est que nous avons d’autres préoccupations en tête.

Je vous tiendrai informés de la suite dès que j’en saurai un peu plus.

Et surtout, surtout, prenez soin de vous.

A bientôt,

Patrick

Naturellement, entretemps, je ne peux m'empêcher de surfer. Quand tout à coup, en bas à droite de mon écran apparaît une petite fenêtre annonciatrice d'e-mails. Ça commence. Je reçois très rapidement une kyrielle de messages de soutien, la plupart des personnes sont choquées d'apprendre ça, mais les réponses me touchent beaucoup, comme celle d'un pote d'études, Michael:

‘Alut,

A part ça, tout va bien ???

Trêve de cynisme, ça fait effectivement assez drôle de recevoir un courriel comme le tien. Je ne sais si tu as besoin de quelque chose, mais c’est facile pour moi de te proposer mon aide, mon écoute, une balade, une foire ou je ne sais quoi d’autre, alors je le fais. Probable que d’autres le feront aussi et probable aussi que tu ne veuilles rien de tout cela. Si tu penses que parler ou boire un pot puisse te faire du bien, n’hésite pas à m’écrire ou téléphoner, je prendrai du temps.

(...)

Il faut bien que ta calvitie soit un avantage un jour…

Pardon.

C'est le genre de réponse qui me fait marrer car j'adore l'humoir noir.

Mon cher,

Je suis sous le choc de cette nouvelle. J'ai peine à trouver les mots. Je te souhaite tout le courage pour affronter cette épreuve de la vie. Le combat sera difficile, mais je suis certain que tu auras les armes pour réussir. Essaye de rester positif. En tout cas si tu as besoin de parler ou autre chose, n'hésites pas, je serai là.

Courage et amitié.


Que dire ? C’est l’horreur. On pense fort à vous, courage, il va vous en falloir !

Gros bisous de la part des F. très attristés.


J’aurai préféré un de tes mails plein d’humours comme tu sais si bien les écrire mais là on est un peu sur le cul.

Merci de ton courage pour nous annoncer ces moments difficiles mais on doit y croire et sache que c’est dans ces moments difficiles que les amis sont aussi là pour un soutien dans le mesure du possible.

N’hésite surtout pas à nous contacter, les moments de blues ne doivent pas seulement être partagés en 2 personnes, on est là et surtout bats-toi contre cette saloperie de maladie qu’il faut vaincre à tout prix.

Bien avec vous


Bonjour Patrick,

Oui, tu as raison de l'annoncer aux amis; ils sont là pour les bons moments et aussi les moins bons.

Le mot "cancer" fait encore peur mais moins qu'avant car on en guérit de certains: j'ai connu le pire et le miracle dans ma propre famille. Pour l'instant, c'est un lymphome.

C'est clair que personne ne peut se mettre à ta place, mais tu as Lena à tes côtés, et le soutien de tes amis.

Je voudrai que tu me tiennes au courant dès que tu auras les résultats du scanner.

En attendant, je t'envoie de bonnes ondes et toutes mes pensées.

Je t'embrasse

Il y a bien quelques réponses qui sont limite indifférentes, impersonnelles, venant d'amis pourtant proches, mais dans la plupart de celles que je reçois, les gens n'hésitent pas à nous proposer de l'aide.

Enfin, la réponse la plus sensée vient d'une amie, elle aussi gravement atteinte dans sa santé en début d'année:

Salut Patrick !

Sache que je pense à toi et que je t'envoie tout mon soutien... Il n'y a que toi qui peux dire ce qui est bien pour toi et personne ne peut être à ta place alors n'hésite pas à demander si tu as besoin d'aide ou d'autre chose...ou qu'on te fiche la paix...bien sûr !

Je t'embrasse, prend aussi bien soin de toi... Tu es malade mais tu n'es pas la maladie et toute une partie de toi n'est pas malade et reste en bonne santé.

Je te tiens les pouces dans cette épreuve.

Une autre amie ayant travaillé dans le milieu bancaire m'appelle. Elle me parle de "stratégie à mettre en place pour combattre ce crabe" une fois le diagnostic connu. Ouais c'est ça, je vais faire du "Total Full World Class Cancer Management" !

Ces messages me font du bien, j'ai presque l'impression d'aller mieux.

Je ne juge personne, je me mets en situation de recevoir une telle nouvelle et quant à savoir quoi répondre… je ne saurai trop quoi dire… On me propose beaucoup d'aide, mais de l'aide pour quoi? Pour l'instant, je ne sais même pas de quel cancer je suis atteint exactement.

J'attendrai un peu avant d'annoncer la nouvelle au travail, car je préfère connaître le diagnostic et être certain de savoir à quoi m'en tenir afin d'y voir un peu plus clair.

12 octobre 2010

Le mardi à 10h15, nous nous rendons au service ORL de l'hôpital. En face de nous, un couple dans la soixantaine attend une consultation. Elle pleure, il a le regard perdu dans le vide. Apparemment, c'est la journée des mauvaises nouvelles.

Le Docteur Emery vient les chercher. "Ah bon, eux aussi" me dis-je. Un quart d'heure plus tard arrive notre tour. Nous entrons dans une salle de consultation et j'attaque bille en tête. Autant ne pas perdre de temps:

- "Alors il paraît que vous n'avez pas de bonnes nouvelles pour moi ?

- Non, je le crains, en fait la ponction a décelé la présence de cellules cancéreuses dans les ganglions et à première vue, il s'agirait d'un carcinome peu différencié. Mais j'aimerais vous examiner, s'il vous plaît".

Je m'assieds sur un fauteuil médical et il m'introduit dans la bouche une longue tige métallique. Il prend un air rassurant, professionnel:

- "Parfait, mmmh oui, c'est bien, OK, parfait."

Il repose ses instruments et commence son questionnaire:

- "Vous fumez ?

- Non, j'ai arrêté fin janvier 2003, je fumais environ 7 à 10 cigarettes par jour et seulement 2 à 3 pendant les week-ends et les vacances 
- Et l'alcool ?

- Oui, j'ai eu une consommation excessive, mais ce n'est plus le cas. Ça pourrait être lié ?

- Oui, surtout la cigarette, malgré l'arrêt."

Booon, si j'avais su j'aurais continué. Je lui demande:

- "Un carcinome, au fait, c'est quoi ?

- Une forme de cancer de l'épiderme et des muqueuses."

Il reprend:

- "Mais des examens complémentaires doivent le confirmer: tout d'abord vous devrez passer un scanner et une IRM, ensuite une panendoscopie et selon les résultats de celle-ci, nous effectuerons éventuellement des prélèvements pour affiner la biopsie.

- Mais j'ai déjà fait une endoscopie en mars-avril, ce n'est pas suffisant ? 

- Non, car une panendoscopie permet de faire des examens plus complets: on vous introduira un tube dans la gorge et nous pourrons mieux examiner l'œsophage, les voies aériennes supérieures, la gorge et l'estomac. Nous pourrons voir si d'autres tumeurs sont présentes. Tout ça est fait sous anesthésie, je vous rassure. Maintenant, quelles sont vos disponibilités pour ces examens ? Il faut compter deux jours pleins."

Je lui annonce que je suis déjà booké tel et tel jour quand il me remet un peu les pieds sur terre:

- "Vous ne croyez pas qu'il y a d'autres urgences maintenant ?"

Damned ! Il a raison, il y a plus urgent que mes rendez-vous qui passent subitement du degré Priorité 1 au niveau Alakon... détail auquel je n'avais pas pensé jusque-là ! Et je ne suis plus maître de la situation, dirait-on (et pour autant qu'on le soit un jour dans sa vie): il faut que je suive à la lettre les indications des médecins.

Je n'ai pas le choix, aussi je lui laisse carte blanche. Il s'absente et revient au bout de quelques minutes pour me donner les dates des examens: jeudi 28 octobre, ce sera scanner et IRM dans un institut privé à Lausanne et vendredi 29, la panendoscopie à l'hôpital. Je note les rendez-vous dans mon agenda.

- "Et si c'est un carcinome, quel type de traitement est prévu ?

- Normalement dans ce cas de figure, il s'agit de séances de radiothérapie combinées avec de la chimiothérapie sur une période de 2 mois environ."

Ouf, deux mois ! Je suis soulagé, je me voyais subir un traitement sur un à deux ans ! Ce sera vite fait, et en février, je serai de retour au travail, ouf ! Pas si grave finalement, ce n'est qu'un cancirounet...

Il reprend:

- "Mais il faudra avertir votre employeur que vous serez souvent absent ces prochaines semaines tant à cause des examens que du traitement. En tout, il faudra compter six mois de congé maladie en tenant compte des trois mois de convalescence."

Là je m'étrangle: six mois ? Mais ce n'est pas possible! Je vais me faire virer moi ! Tu parles que je vais faire trois mois de convalescence ! Un membre de ma famille a eu une radiothérapie et s'en est très bien tiré à part de la fatigue, mais celle-là, je vais la surmonter aussi, tu penses ! Donc les trois mois de convalescence, nada ! De la roupie de sansonnet que sera mon traitement, non mais ! Rester 6 mois en congé maladie ? Je rêve !

- "OK, mais que puis-je leur dire ?

- Que vous avez un carcinome et que vous risquez d'être absent prochainement, c'est tout. Et n'hésitez pas à me téléphoner, je suis à votre disposition. Comme je suis généralement au bloc opératoire, laissez un message et je vous rappellerai."

La consultation prend fin, nous partons et je me sens un plus confiant: j'en sais davantage sur ma tumeur et je sais quel traitement sera appliqué. Je traverse un bref moment d'euphorie: ça ira, je vais surmonter cette merde ! Lena aussi, elle qui est tellement logique, sait également mieux à quoi s'en tenir. Nous rentrons à la maison pour manger sur le pouce avant de retourner au taf. J'en profite pour googler. Ce qui ne me sert à pas grand-chose car une recherche avec "carcinome" donne autant de résultats qu'avec le mot "cancer", j'abandonne.

Nous finissons nos sushis et filons au travail, chacun de notre côté. Là je me décide enfin à annoncer la nouvelle. Mais soudain, BOUM ! Une montagne d'angoisses me tombe sur le coin de la gueule ! Le stress total, la panique, le souffle court, impossible de me maîtriser ! Je sais que c'est lié à l'idée de parler de mon cancer en face à face et non par téléphone ou plus lâchement, par e-mail. OK, soit, quand faut y aller… Et je me lance en commençant par ma supérieure hiérarchique.

Les mots ont de la peine à sortir, j'étouffe à moitié, mais finalement je fais passer la seule information dont je dispose, à savoir que je serais souvent absent ces prochaines semaines à cause d'un carcinome. Point barre. Inutile d'inquiéter, d'expliquer, de justifier. C'est comme ça: absence due à un cancer, vala, on ne va pas compliquer davantage la situation hein !

J'annonce la nouvelle à mon entourage proche dès que je le peux, en tête-à-tête. Quant aux autres que je vois plus rarement ou qui sont éloignés géographiquement, je leur envoie un e-mail assez bref et sobre. Dans l'ensemble, le message passe sans trop de drame et je reçois en retour une réponse plutôt positive: "Ta santé d'abord, le travail ensuite".

Parfois l'annonce de cette saloperie relève du comique. Aux collaborateurs d'un service, je commence par dire que je serai souvent absent ces prochains temps.

L'un d'eux regarde son écran et marmonne un "OK, merci pas de problème".

Je continue: "Parce que j'ai un cancer." Les yeux toujours rivés sur son écran, il marmonne un "Mmmhmmmh !". Puis très rapidement, secoue la tête, me regarde un peu effrayé et me dit:

- "Attends, qu'est-ce que tu as dit ? J'ai pas compris...

- J'ai un cancer.

- Mmgnzpflt... Depuis quand ? Quel cancer ? À quel stade ? Tu vas te faire opérer ? Oh putain !"

Je lui explique alors ce qui m'attend mais que je pourrai en dire plus prochainement. En quittant leur bureau, j'ai senti avoir un peu plombé l'ambiance.

À mon retour de convalescence, en mai de l'année suivante, je l'ai fait paniquer lorsqu'il m'a avoué avoir un peu mal à la gorge et qu'il s'inquiétait. Je n'ai pas pu m'empêcher de lui dire que je n'avais jamais rien senti, mais alors là, rien du tout lorsque j'avais consulté l'an dernier ! Ses yeux ont alors roulé dans leurs orbites, il s'est figé et son souffle a ressemblé à un grincement...

J'étais mort de rire...

Il est du genre hypocondriaque et ses subalternes m'ont dit que pendant mon absence, il surfait sur des sites médicaux et consultait à tour de bras au moindre bobo.

Un autre collègue me donne une réponse assez surprenante mais que, par la suite, j'ai trouvé totalement adaptée à cette situation brutale et surréaliste: "Je ne sais pas quoi te dire… Non, vraiment, là, je suis désolé, mais je ne sais pas quoi te dire !"

Et oui, que dire ? Qu'est-ce que moi j'aurais dit ? "Oh merde ! C'est pas vrai ? Quel cancer ? Tu vas faire quoi ?" ou encore "Sincères condoléances ?" voire "Aïe ! Tu es chez EXIT si jamais ça tourne mal ?" ou encore "Mais oui, bien sûr, moi aussi, allez, arrête tes conneries !" Bref, je n'aurais pas su quoi répondre, pas su quoi dire…

Maintenant que la tournée est faite, il me reste à affronter "radio-couloirs". Qui ne tarde pas à arriver.

L'une des assistantes que je n'avais pas vue m'aborde: "Alors il paraît que tu nous fais une petite surprise ?" Je lui coupe la parole histoire d'utiliser les mots justes: "Ça s'appelle un cancer ma chère". Elle embraie sur celui de son oncle qui a duré deux ans, "et d'ailleurs il en est mort. J'ignore à quel traitement tu vas avoir droit, mais lui a eu des effets secondaires terribles: la chimio lui donnait des diarrhées incroyables, aussi les médecins lui ont prescrit des médicaments qui ont arrêté ses coliques et du coup il a eu des migraines infernales ! Alors, il devait choisir: coliques ou migraines. Mais tu sais les traitements sont différents pour chaque cancer et les patients réagissent différemment. Ahlala mon pauvre, je te souhaite plein de courage".

Lorsqu'elle sort, je reste dubitatif: je l'étrangle maintenant ou … tout de suite ?

J'ai eu aussi des conseils en tous genres pour éviter les nausées comme le jus de gingembre mélangé avec du jus de citron et de l'eau, des médicaments spagiriques pour lutter contre les mucites, et même faire des infusions au haschich qui aideraient à supporter la chimio… (ce qui serait ou pourrait être exact d'après ce que j'ai lu plus tard).

Mais le plus drôle était que je n'avais pas dit exactement quel cancer j'avais !

La tournée de la famille, des amis, des collègues de travail étant faite, je me sens libéré d'un poids, et plus serein pour la suite.

 
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