Document sans nom
patrickbays.ch
Si les people parlent de leur cancer, pourquoi pas moi ?
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mise en place

8 novembre 2010

Petit rappel: en cuisine, l'expression de "mise en place" désigne la préparation des ingrédients (épices, nettoyage, épluchage des légumes, sauces, découpe de la viande ou du poisson etc.) et des ustensiles nécessaires à la réussite d'un plat.

Et ça vous est très certainement déjà arrivé, ne serait-ce qu'avec une poêle,  un peu de beurre et deux œufs à casser….

En l'occurrence, c'est moi le dindonneau ficelé qui attend de passer à la casserole. Il s'agit de contrôler l'état de ma dentition et de m'équiper en accessoires médicaux pour le traitement proprement dit.

Je commence par un bilan dentaire: la radiothérapie est très agressive pour les dents, les gencives et les os des mâchoires qui sont fragilisés pour les uns et plus sensibles aux caries ou aux maladies pour les autres. Il est important de dépister d'éventuels problèmes qui seraient susceptibles de conduire à une extraction des "mauvaises" dents. Ce bilan devrait passer comme une lettre à la poste car je n'ai connu qu'une carie en 47 ans.

Je m'annonce au secrétariat de la policlinique dentaire où on me donne un formulaire à remplir. A la question "Souffrez-vous d'une maladie ?", j'hésite…

On m'envoie en salle d'attente où je me sens soudainement très mal. Cela fait deux ans que je n'ai pas fait de radio et mon dernier détartrage remonte à l'année précédente. Glups ! Et si l'on me découvrait des caries ou un décollement de la gencive ou je ne sais quoi ? Et s'il fallait m'arracher des dents en mauvais état ? Ça y est, j'angoisse à nouveau ! Pourtant je sais que c'est idiot: lorsque j'étais ado, un dentiste m'avait dit que ce n'est pas avec moi qu'il ferait fortune. Mais là je suis dans le doute le plus total.

Une assistante vient me chercher et me guide vers une salle de radiographie. J'ai droit à une prise de vue panoramique de ma dentition ainsi qu'à une dizaine de zooms à gauche, à droite, devant, en haut, en bas. Je suis ensuite dirigé dans un cabinet de consultation où j'attends le verdict de la dentiste, la Doctoresse Schmidt. Après un bref examen des radios et he ha denhichion (pas facile à prononcer en plein examen), elle déclare que j'ai "un trésor dans la bouche" (dixit) et qu'elle a rarement vu des dents pareilles (à mon âge je pense) ! Je n'ai pas le sourire hollywoodien, mais j'ai une bonne dentition. Ouf, je décompresse: je vais mieux, mais je vais mieuuuux ! Mais je ne reste pas sur de bonnes nouvelles. Elle m'explique la suite:

- "Vos glandes salivaires seront brûlées par la radiothérapie. Si la quantité et la qualité de salive vont diminuer, seule la quantité reviendra partiellement avec le temps. La qualité restera faible et vous devrez effectuer des soins à vie: une application quotidienne de gel fluoré dès le début de la radiothérapie."

J'ai le choix entre les arômes "menthe" et "pinacolada". J'ai failli demander un "Cuba libre" mais y'avait pas…

Elle s'en va et je suis détendu pour effectuer l'empreinte dentaire qui servira à mouler les gouttières dans lesquelles j'aurai à appliquer du fluor quotidiennement. Deux assistantes me posent une sorte de plâtre sur les mâchoires inférieurs et supérieures, me demandent de patienter un quart d'heure avant qu'elles ne puissent l'enlever. Lorsqu'elles me délivrent de la pâte qui a légèrement durci, j'ai l'impression que l'on m'arrache les dents. Ahgnnnahh ! Je dois revenir dans une quinzaine de jours pour récupérer les gouttières. Je ressors de la policlinique gonflé à bloc, suite aux bonnes nouvelles de la dentiste, prêt à subir la pose de la PEG et du PAC.

9 novembre 2010

Le lendemain, retour à l'hôpital. Cette fois Lena m'accompagne car je n'ai pas envie de me retrouver seul pour cette petite intervention, suite à ma précédente expérience. Nous nous dirigeons dans les sous-sols du bâtiment pour arriver devant un guichet où l'on nous fait patienter. Le temps que les infirmières finissent leur café et leur discussion et on me demande mes documents d'admission.

J'ai juste envie de hurler: "Oui, c'est moi Patrick Bays, et non je ne veux pas rester ici, merci !"

On me dirige vers la chambre où je dois me changer, d'une capacité d'accueil de 10 lits environ. Lena m'aide à me changer, ranger mes affaires et finalement part travailler. Une infirmière vient me raser le torse in extenso car elle ne sait pas où les médecins vont m'implanter le PAC et la PEG. Du coup le lit se couvre de poils, elle aurait pu faire ça ailleurs ou me prévenir et je l'aurais fait chez moi la veille, mais bon…
Après quoi, je reçois la visite d'une jeune toubib qui me demande mon pedigree et qui rajoute, "Ah oui, et vous, vous avez un carcinome, ah zut, comment on dit déjà ?"

- "Carcinome indifférencié, ou peu différencié, comme vous voulez...

- Ah oui, merci c'est juste. Bon, vous me signez ça et ça, merci, on viendra vous chercher pour l'opération dans quelques minutes".

Elle me fourgue les documents et le stylo sous les yeux et dans la main et je signe. Je ne suis pas trop en état de relire et de poser des questions de nature juridique.

Ou de toute autre nature d'ailleurs...

L'intervention se déroule bien cette fois, je suis plus calme, je respire lentement et profondément, drillé par mon autohypnose et encouragé par l'anesthésiste et … je me réveille ! Je demande comment s'est passé mon réveil car le précédent n'était pas terrible. ''Oui, tout s'est bien passé, la dernière fois c'était sans doute lié au fait que vous aviez reçu de la morphine !" Ah... Curieux de voir à quoi ressemble une PEG, je soulève la blouse et je découvre le monstre: un tuyau me sort de l'estomac et son extrémité est bouchée par une fermeture en plastique. C'est donc avec ce machin que je m'alimenterai en cas de difficultés ? Une PEG (pour "Percutaneous Endoscopic Gastrostomy" ou "Gastrostomie Percutanée endoscopique") est une technique permettant de nourrir un patient ne pouvant plus s'alimenter par voie normale: pour faire simple, c'est un tuyau directement relié à l'estomac dans lequel est injectée la nourriture liquide.

En le regardant, je défaille ! Mais jamais de la vie je n'utiliserai ça moi ! D'autant plus que ce truc est raccordé à une poche qui, pour l'instant, semble recueillir le contenu de mon estomac, beurk ! Beuark et mégabeuark ! On dirait un Alien visqueux et semi-transparent qui se serait extrait de mon corps. Par contre, le PAC localisé sur le côté droit de ma poitrine ne me gêne pas, je ne le sens pas.

Après une longue attente ponctuée d'appels au secours de la part des infirmières qui demandent au service d'étage que l'on vienne chercher les derniers opérés (dont moi), sur le coup des 17h30, je suis déplacé au 12ème étage pour y passer la nuit. Ouf, ce sont des chambres de 5 lits et nous ne sommes que 4. Je n'aurai que 3 voisins dont une personne qui a un cancer de la gorge et qui a d'énormes difficultés respiratoires et bruyantes, mais comme j'ai pris mes somnifères, ça devrait être jouable, surtout pour une nuit, pas vrai ?

Soudain arrive un surexcité qui sort d'intervention. Il ne veut pas rester là; il veut absolument sortir fumer sa clope: "Cigarrrette, cigarrrette !". Il se lève, s'habille, son ami lui conseille de se calmer et de se coucher, mais rien n'y fait. Ce dernier sort chercher de l'aide. En son absence, le patient me demande en anglais pourquoi je suis ici.

- "Cancer" lui ai-je répondu. "Because I smoke too much years ago…"

J'ai dit ça histoire de le calmer, mais ça ne lui a fait ni chaud ni froid.

Les médecins arrivent à leur tour pour tenter de le faire rester. Ils lui expliquent le risque qu'il encourt de quitter l'hôpital juste après une intervention. Mais il ne veut rien savoir: l'appel de la clope est trop fort. Ils renoncent devant son insistance et finalement ils le laissent partir… Aaah ! Du coup je me sens plus calme moi !

Sous l'effet partiel de l'anesthésie, je suis encore dans les vaps' lorsque Lena arrive avec une bande dessinée pour me changer les idées. Manque de pot, je l'ai déjà. Je la donne à une infirmière pour ses enfants (bien que la lecture de Zep soit autorisée pour les plus de 40 ans…), nous discutons un peu, et après son départ, j'essaie de m'endormir. C'est difficile à cause des bruits de l'hôpital (pas et discussions dans le couloir), de ma position, de la petite taille du lit, du patient qui a des difficultés respiratoires et de l'infirmière de nuit qui vient m'injecter un liquide via la PEG pour vérifier son fonctionnement. Ce "goutte à goutte" va durer six heures environ. J'arrive vaguement à m'endormir.
Sur les coups des deux heures du matin, un nouveau patient est transféré dans le lit voisin. Son arrivée a lieu avec toute la délicatesse d'un tyrannosaure affamé qui débarque en plein abattoir. Ah je ne suis pas seul dans cette chambre et d'autres personnes dorment ? Boââf ! Pas grave ! Je me rendors péniblement.

10 novembre 2010

Vers les 7 heures, les petit déj' des autres arrivent. Moi je n'ai droit qu'à des aliments liquides, va savoir pourquoi ... Une infirmière vient m'enlever la perfusion et je lui dis que j'aurais besoin d'un congé maladie pour la fin de la semaine car j'éprouve quelques douleurs au niveau de la PEG. Elle se marre et me répond que mon absence professionnelle risque de durer un peu plus longtemps. Ah bon ? C'est quoi ce binz ? Elle me tend le certificat: je suis en congé maladie jusqu'au 6 décembre et nous sommes le 10 novembre ! Kwak ? Moi qui m'attendais à une semaine de repos, il va falloir annoncer ça au bureau. Mais pourquoi n'ai-je pas été averti plus tôt ? Pas de réponse. En revanche, elle m'explique rapidement le protocole de soins de la PEG: je dois rester une semaine à domicile sans soins particuliers, puis retourner à l'hôpital pour un premier changement de pansement. Ensuite, des infirmières viendront chez moi pendant dix jours le changer quotidiennement.

Je m'habille et j'attends Lena qui arrive enfin. Juste avant de partir, nous voyons une diététicienne que je dois contacter en cas de perte de poids importante, rien de spécial pour une fois. Nous quittons l'hôpital, je ne supporte plus cet endroit.
Arrivé à la maison, je me précipite sur le téléphone qui sonne. L'infirmière qui m'a si rapidement expliqué le protocole de soins nous demande de retourner à l'hôpital: elle a oublié de nous donner l'ordonnance pour les médicaments et ne m'a pas indiqué comment nettoyer la PEG chaque soir… et elle nous demande de revenir à l'hôpital.

Ah non, ça jamais ! Je suis trop crevé pour y retourner, je n'en peux plus. Mais ils ne peuvent pas s'organiser un peu mieux ?

Finalement Lena y va seule. En revenant avec un énorme carton plein de pansements divers, elle me résume sa rencontre: une infirmière débutante et non pas celle que j'ai vue lui a donné des indications hésitantes en demandant confirmation de chacune de ses manipulations à l'une de ses collègues…

Pour l'instant, je suis cloué à domicile avec la PEG. Je ne me réjouis pas vraiment de vivre avec ce truc, cette espèce d'Alien qui m'a été greffé pour plusieurs mois. On ne me la retirera que 251 jours plus tard, en juillet 2011. Mais cette fois, je suis prêt pour la chimio et la radiothérapie. Enfin c'est ce que je crois...

La première nuit avec ce truc commence bien: forcément puisque je suis chez moi. Épuisé, je m'endors comme une masse.

Tout à coup, je me réveille en sursaut: j'étais en train de rêver que je m'arrachais ce tuyau et qu'il me déchirait l'abdomen. Je suis en sueur et je tremble violemment de tous mes membres. Je ne sais toujours pas si c'est vrai et je ne le saurai jamais, mais sur le moment j'ai l'impression de me réveiller avec la main sur la PEG. Je me replonge dans le sommeil avec passablement de craintes.

 
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