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Si les people parlent de leur cancer, pourquoi pas moi ?
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sÉances de planification et d'information

16 novembre 2010

Après une semaine de repos forcé au cours de laquelle j'essaie d'apprivoiser la PEG, j’ai trois rendez-vous successifs à l'hôpital ce jour-là: le premier avec les médecins et les infirmières qui vont me suivre pendant le traitement combiné, le deuxième, pour le renouvellement du pansement de la PEG et le dernier pour réceptionner mes gouttières à la policlinique dentaire. C’est la première fois que je sors depuis l'intervention.

Le premier rendez-vous a pour but de m'expliquer ce qui va m’arriver au cours de ce traitement. N. et moi sommes dans une salle de consultation, entourés du Docteur Claude Paulsen, médecin ORL, de la Doctoresse Evelyne Berset, chef de clinique en oncologie, (ils me suivront au cours du traitement) et de deux infirmières, Cathy et Francine (que je ne verrai plus jamais sinon au hasard de mes pérégrinations dans le bâtiment). Nous sommes assis sur des chaises en position basse alors que tout ce beau monde est debout ou en tous cas en position plus élevée. J’ai l’impression que nous sommes deux gamins dans le bureau du directeur de l’école, convoqués pour une connerie que nous aurions faite.

La Doctoresse Berset prend la parole:

- "Alors voici la procédure: vous aurez 33 séances de radiothérapie réparties sur 7 semaines ponctuées par 3 cures de chimio de cisplatine espacées de 3 semaines chacune. Vous commencerez le 6 décembre, les séances de radio auront lieu en ambulatoire, tous les jours sauf les week-ends et les jours feriés et vous recevrez votre planning pour chaque semaine. "

Elle poursuit:

- "Lors des cures de chimio, vous resterez en observation 24 heures car le cisplatine est très toxique pour les reins. Nous devons veiller à ce que vous soyez correctement hydraté.

Et surtout, vous devez savoir que les effets toxiques seront plus virulents au cours des deux semaines qui suivent la fin du traitement."

On nous tend une feuille avec le planning. Les médecins et les infirmières semblent scruter chacune de nos réactions: interrogations, incompréhensions, doutes, craintes: sommes-nous demeurés ou com-pre-nons-nous-ce-qu-ils-nous-disent, etc. Mais tout nous paraît clair à part un détail ou deux vite éclaircis.

Ils abordent maintenant les effets secondaires. Et alors là, pourquoi ? Pourquoi est-ce que la Doctoresse Berset me regarde droit dans les yeux qui sont situés sous mon crâne chauve pour me dire:

- "Avec la chimio, vous allez perdre vos cheveux…"

En un millième de se seconde, je suis transporté dans la quatrième dimension: non, mais elle se fout de ma gueule ? Je scrute le plafond à la recherche d'une caméra cachée. Moi qui m'attendais à entendre parler de malaises, de vertiges, des comas, d'éruptions cutanées, de dysfonctionnements digestifs en tous genres, je m'entends dire avec le plus grand sérieux que je vais perdre mes cheveux. Je ne peux pas m'empêcher de marrer car je suis déjà tellement dégarni que ce ne sont pas quelques centimètres carrés de moins qui vont me manquer… Mais peut-être était-ce le but de sa manœuvre ? Je ne le saurai jamais…

Elle embraie sur du plus costaud: j’aurai également des nausées et des vomissements (j'ai tellement lu à ce sujet sur internet que je me prépare au pire) mais je recevrai des antiémétiques à prendre avant, pendant et après mes cures de chimio. "Ne laissez pas la nausée venir, ça ne sert à rien" me dit-on. Des acouphènes seront également de la partie. Puis, j’aurai des changements de goût: diminution et disparition totale pour finir sur la persistance d'un goût métallique. Je sais, cela peut paraître contradictoire, mais c’est ainsi qu’on me l’a annoncé.

Mon système immunitaire sera fraglisé, aussi dois-je me faire vacciner immédiatement contre la grippe, après la réunion. Et si ma température dépasse les 38.0° C, c’est direction l'hôpital tout de suite. De jour comme de nuit, hop ! On file aux urgences. Je ressentirai également de la fatigue qui devrait intervenir dès la 3ème ou la 4ème semaine du traitement et qui ira en s'accroissant. Ce sera, aux dires des médecins, le symptôme le plus pénible. Je devrai me booster le matin. Et c’est également à partir de cette période que je commencerai à m’alimenter par la PEG. "Cause toujours" murmuré-je à ce moment in petto.

L'autre médecin aborde ensuite la question du poids qu'il faudra garder constant. Je proteste un peu, surtout pour la forme: "Mais je suis en surcharge pondérale !" En réalité, je me réjouis de retrouver ma ligne perdue au cours des derniers mois et je pensais que cette tumeur aurait quand même un effet positif.

Mais les deux médecins insistent sur l'importance de garder un poids constant afin de maintenir au mieux mon système immunitaire: plus je maigris, plus ce dernier s'affaiblit et plus je suis exposé aux microbes et aux virus. Bon, je ferai en sorte. Intérieurement, je pense à une autre stratégie: me faire plaisir autant que possible de ce côté-là avant le traitement pour compenser la perte ultérieure.

La consultation prend fin et je suis les infirmières qui vont me vacciner.

Au cours de la séance de piquouze qui suit, l'une d'entre elles me confirme que je vais perdre des kilos et me demande quel est mon poids de forme pour ne pas le dépasser (vers le bas). J'ai une brève discussion et elles me donnent un conseil: il aurait été prouvé (je n'ai fait aucune recherche dans ce sens) que rire permettrait d'augmenter le taux de globules blancs et de diminuer les risques d'infection. J'en prends bonne note, et au cours des semaines qui suivent, je louerai passablement de DVD débiles. Et pour certains films, le terme est même trop faible. Les infirmières me gardent un instant pour discuter avec moi et jauger mon état d'esprit et mon moral par rapport à la maladie. Mais je reste confiant et surtout persuadé que je m'en sortirai.

Elles me finissent par libérer et je remonte d'un étage pour changer le pansement de la PEG. A la réception, j'apprends que l'on m'attendait la veille –toujours leur foutue organisation– alors que ma convocation est bien fixée aujourd'hui (je vérifie quand même, mais oui, nous sommes bien le 16 novembre). L'infirmière se marre: "Oh, pas grave, vous savez, ici on s'adapte !". Tout se passe sans problème du point de vue médical et je file à la policlinique dentaire pour récupérer les gouttières moulées il y a deux semaines. Je reçois également un flacon de gel fluoré. Je ne sais pas pourquoi, mais je me sens à nouveau gonflé à bloc en quittant la dentiste.

Comme Lena est retournée à son travail après le premier entretien, je me retrouve seul en sortant de l'hôpital. Et j'ose ma première ballade en ville, histoire de dévaliser la FNAC, magasins électroniques et autres librairies.

Ça me procure un bien fou de voir du monde, de me lâcher en achats compulsifs et de penser à autre chose qu'à la maladie. Si vous êtes atteints d'un cancer ou d'une autre saloperie grave, et si vous avez cette possibilité, bougez-vous, sortez autant que vous le pouvez si la météo le permet. C'est con à dire mais un simple achat à l'épicerie du coin me procure à chaque fois ma dose d'endorphines. Au cours des jours suivants je profite également de faire un ou deux sauts au travail et là, le résultat est le même: voir des gens et parler avec eux, penser et discuter d'autres choses que de ma maladie me donne le pep ! À réitérer aussi souvent que possible pour autant que je sois en état.

17 novembre 2010

Quelques jours plus tard, je reçois la visite d'une infirmière qui vient prendre soin de ma PEG et qui m'enlève également le pansement du PAC. Tout ça est organisé par un service de soins à domicile. Elle est très pro, et surprise agréable: moi qui m'attendais à voir débarquer une armoire normande acariâtre, je reçois une jeune femme qui a travaillé pendant une quinzaine d'années à l'hôpital et pour qui la manipulation d'une PEG n'est pas franchement une nouveauté.

Une fois les soins réalisés, je dois répondre à un questionnaire administratif et relatif à mon état de santé. Autant lui dire tout de suite que je ne me sens pas du tout, mais alors là pas du tout à l'aise avec la PEG. Elle a même tendance à me stresser. Moi anxieux ? Noooooon ! Hyper anxieux tu veux dire ! En infirmière pro et habituée aux hypocondriaques dans mon genre, elle me détend et je me surprends à plaisanter. Le formulaire, rempli, elle s'en va. Mais ce n'est pas elle qui viendra tous les jours, j'aurai en tout la visite de trois infirmières.

La deuxième m'inquiète franchement. Elle commence par confondre l'interrupteur d'une lampe extérieure avec la sonnette de la maison… Puis, bien qu'elle m'annonce fièrement pratiquer des soins à domicile depuis plus de 20 ans, elle sort la procédure de changement de pansement et se met à la lire étape par étape ! Kwak ? Mais j'aurais pu le faire moi-même dans ce cas-là ! J'ai comme un doute sur ses compétences. Par exemple, comme la sonde doit être mobilisée régulièrement, elle ne se gêne pas pour le faire de manière assez rude, quitte à me faire gémir. Bon soit, plus pour le principe qu'à cause de la douleur elle-même, mais je ne me sens pas à l'aise avec elles (l'infirmière et la PEG). Dutoutdutoutdutout ! Par chance, dans quelques jours, elle part un mois en vacances et sera remplacée par une de ses collègues aussi sympa et pro que la première.

Après 10 jours de soins, je suis autonome et aussi plus familier avec la PEG, que ce soit au niveau des soins ou de son entretien. Maintenant, je n'attends plus que LE moment d'entrer à l'hôpital pour commencer ce traitement qui va éradiquer ma tumeur.

24 novembre 2010

Mais tout n'est pas fini. Je suis convoqué pour une consultation médicale ainsi que pour le moulage du masque destiné à la radiothérapie et pour une planification (ça s'appelle ainsi).

Je commence par la consultation avec la Doctoresse Nathalie Glücksmann, médecin spécialiste en radio-oncologie qui va me suivre durant le traitement. Elle m'explique la planification quia pour but de définir un traitement personnalisé permettant de donner le maximum de doses d'irradiation de manière homogène sur la tumeur, tout en limitant celles sur les tissus sains. Puis, la Doctoresse embraie sur les effets secondaires dus à la radio. Et ça promet: en vrac, j'aurai droit à un épaississement de la salive puis à de la sécheresse buccale, mes muqueuses vont être irritées et des aphtes vont faire leur apparition (peuh, j'ai déjà eu des aphtes, même pas mal !), la peau de la zone traitée sera irritée et rouge, je perdrai une partie des cheveux et de la barbe dans la partie irradiée (ce qui ne me formalise pas trop je l'avoue, voir plus haut), ainsi que d'autres complications qui sont susceptibles de se produire à moyen et long terme.

Tout ce que j'aime quand je ne sais pas ce qui risque de m'arriver ni quand ça peut m'arriver…

Et là, ô lecteurs et –trices, intervient le bizarre, l'étrange, le "j'y crois pas", le "Mouahahahah !" par le biais d'une question perfide (car je voulais guetter la réaction de Frau Doctoresse Glücksmann): je lui demande si je peux faire appel à des "coupeurs de feu". Elle paraît surprise et répond laconiquement: "si vous y croyez, oui". Visiblement, ce n'est pas son cas, mais par chance, elle ne me classe pas dans la catégorie des frapadingues ou du moins, elle ne laisse rien transparaître… elle doit sans doute avoir l'habitude avec les autres patients qui lui posent la question.

À la fin de l'entretien, elle me donne un document à signer dans lequel je reconnais avoir été informé du traitement et de ses conséquences. Je refuse de le signer tout de suite et l'emporte à la maison pour le lire à tête reposée, pour le cas où des éléments non ou mal expliqués y figureraient.

Suite à cette causerie, j'ai rendez-vous avec les techniciens de radiothérapie. Ils vont effectuer le moulage du masque sur mon visage et me marquer: une opératrice dessine au feutre indélébile un trait vertical sur ma poitrine qui servira à l'alignement du masque. Comme je ne peux pas me baigner à cause de la PEG, il y a peu de chances pour que cette marque disparaisse. On me prend en photo pour "qu'il n'y ait pas d'erreurs dans les dossiers". Sisi, je le jure; c'est réellement ce qui m'a été expliqué ! En plaisantant, je lui dis que je m'habillerai toujours de la même manière lorsque je viendrai pour ne pas être confondu avec un autre patient (je porte ce jour-là, un pull-over du plus bel orange, pull-over que j'ai jeté aux vêtements recyclés par la suite).

Fin de la séquence hosto, retour à la casa sans passer par la FNAC.

Quelques jours plus tard, je reçois un appel d'une secrétaire de la Doctoresse Berset qui souhaite me voir. Je lui demande si cela ne peut pas se faire par téléphone, car me déplacer à l'hôpital ne m'enchante pas vraiment. "Non, elle préfère vous rencontrer" Ah bon ? Je suis surpris par cette démarche. Quels examens vais-je devoir passer ou quelle information vais-je recevoir ? Le jour venu je me rends sur place, vaguement inquiet, et elle me reçoit en s'excusant car elle avait oublié d'aborder un sujet la dernière fois que nous nous étions rencontrés...

- "Monsieur Bays, vous êtes un homme encore jeune et …

- J'ai quarante-sept ans quand même !

- Oui d'accord, mais nous voudrions procéder à une récolte de sperme pour le cas où vous souhaiteriez avoir des enfants, car le cisplatine va modifier profondément votre sperme et vous êtes susceptible de ne plus être en mesure de concevoir des enfants."

J'éclate de rire, car je m'attendais à tout sauf à ça.

- "Et vous n'auriez pas pu me demander ça par téléphone ?

- Non, car tout dépend de la sensibilité de chaque patient, vous comprenez, nous ne pouvons pas traiter cette information à la légère.

- Alors dans ce cas, je vous rassure, nous ne souhaitons pas avoir d'enfants, une récolte de sperme ne sera pas nécessaire. Et sinon, c'est tout ce que vous aviez à me demander ?

- Oui, c'est tout. Je prends bonne note du fait que vous ne désirez pas d'enfants."

Je confirme et je ressors de là quand même un peu soulagé car je pensais qu'il s'agissait de quelque chose de plus important. J'appelle Lena pour lui en parler. Par chance, elle n'a pas non plus de velléité maternelle tardive. Elle me rassure sur ce point-là, des fois que je me serais trompé…

Maintenant je pense être suffisamment informé sur ce qui risque de m'attendre au cours des semaines à venir. Il ne reste plus qu'à commencer tout ce cirque.

 
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