Document sans nom
patrickbays.ch
Si les people parlent de leur cancer, pourquoi pas moi ?
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suite du traitement

Les jours puis les semaines se succèdent à l'identique. Lena m'accompagne quotidiennement à l'hôpital pour les séances de radiothérapie ainsi que pour les analyses et les consultations hebdomadaires effectuées par le Docteur Paulsen.

Il commençait généralement par examiner l'évolution de la tumeur à l'aide d'un flexible en fibres optiques qu'il introduisait dans ma narine droite et qu'il faisait coulisser jusqu'au bas de la langue. Je me suis vite habitué à cet examen barbare en apparence, mais plus agréable pour moi que si le câble avait été introduit par la bouche: j'ai des réflexes de déglutition assez violents.

S'ensuivaient une discussion sur mon état de santé général, une prise de poids, le rapport de mon analyse de sang dont le but était de mesurer le taux de créatinine, et enfin la prescription de médicaments destinés à me soulager des effets secondaires du traitement combiné. Une diététicienne était souvent présente; elle se souciait particulièrement de mon alimentation et de ma variation de poids.

En cours de traitement, il m'apprendra que j'ai un carcinome peu différencié, classé cT2 cN2 cM0, au stade IVa (qui s'est étendu à un organe adjacent), avec en prime, la présence de HPV 16 (Human PapillomaVirus ou Papillomavirus Humain ), l'une des rares qui soit cancérigène. De mémoire, 33 variantes sur les 300 formes connues du HPV le sont, mais à vérifier chez ton oncologue préféré. Comme me le dira quelqu'un, quand je choisis les emmerdes, je prends les plus vaches ! C'est à peu de choses près le même cancer que Michael Douglas. Ce qui, sur le moment, me fait une belle jambe, je sais, merci.

Nous arrivions toujours en avance à ces rendez-vous, d'une part parce que je déteste être en retard, d'autre part, pour ne pas trop modifier l'ordre de passage relativement strict de la radio.  Il en était de même pour les prises de sang et les consultations médicales. Heureusement, les techniciens et les infirmières chargées des analyses étaient souvent en avance sur l'horaire.

Et comme tu te demandes certainement de quelle manière se déroule une séance de radiothérapie, je t'explique, d'accord ?

Outre l'attente passée à lire et à relire des magazines périmés, je pénètre en cabine une fois que l'on m'a appelé, je me déshabille et j'attends une nouvelle fois mon tour. Toujours et uniquement à seulement à l'appel de mon nom, je me dirige vers la salle de traitement, je m'allonge sur la table de l'appareil de tomothérapie. On me pose ensuite le masque, et la table coulisse au centre de la machine qui est alors paramétrée par rapport à la position et la taille de la tumeur, de la dose de rayonnement, les employés reviennent pour des ajustements manuels et l'irradiation à proprement parler débute, soit pendant 6 minutes. Contrairement aux idées reçues, je ne sens rien. Pas de sensation de brûlure ou de tiraillement, ou que sais-je. Les techniciens enlèvent le masque et je peux repartir, je me rhabille, merci, au-revoir, à demain.

En tout et hors attente, une vingtaine de minutes par séance, pour quarante à quarante-cinq minutes de trajet. Et nous sommes privilégiés. Un patient parisien pour qui le temps d'attente pour un traitement identique était trop long, a choisi de l'effectuer en Suisse. Il résidait à Annecy le temps des soins et se rendait sur place tous les jours pour sa séance d'irradiation. Avec chauffeur siouplait.

18 décembre 2010

A la fin de la 2ème semaine du traitement -plus que 25 séances de radio, merci- je reprends mon envoi d’e-mails, négligé depuis quelques jours:

Bonjour chez vous,

Les premiers dommages collatéraux, pardon -on parle d'effets secondaires en médecine c'est politiquement plus correct-, se font ressentir telle qu’une baisse de l'audition dans la gamme des hautes fréquences (selon certaines infos c'est lentement réversible, selon d'autres, non -hahaha ! Phonak, j'arrive…) et autres joyeusetés buccales dont je vous épargne les détails ici. J'arrive encore à manger ce qui est le principal pour moi, et j'espère vraiment m'éviter l'alimentation par la PEG.

Sinon, ma copine physico-technicienne, celle-là même qui m'avait assuré la totale-full qualité de son travail a fait une nouvelle bourde. Ou c'est qu'elle ne m'aime pas du tout: alors que je dois faire un contrôle ce mardi aux environs des 11h00, elle me file un rancard pour la radiothérapie à 17h40 ! Ce qui va m'obliger à me taper 2 allers-retours dans la journée. Je vais encore négocier lundi pour m'éviter ces 4 déplacements.

Négocier ou râler ? Je ne sais pas encore...

On verra, à bientôt,

Patrick

Je commence en effet à observer une diminution de salive, une légère baisse de goût et l’apparition d’aphtes qui rendent la mastication et la déglutition pénibles. Rien de grave ou d’insupportable pour l’instant, c'est juste désagréable et j’espère que ça ne va pas trop s’aggraver.

Je suis également suivi par la Doctoresse Glücksmann, spécialiste radio-oncologue, qui s’intéresse plus particulièrement aux effets secondaires de la radiothérapie et qui me prescrit les premiers médicaments qui m’accompagneront durant tout le traitement.

Et des médocs, j’en ai bouffé au cours de cette période !

En vrac, j’ai eu droit à

  • Emend, un antiémétique au prix astronomique les 3 comprimlés, à consommer le matin, le lendemain et le surlendemain de chaque chimio;
  • du Primpéran, un autre antivomitif léger, à prendre au long cours;
  • du Zofran, un troisième médicament identique, plus fort, toujours au long cours, pour la fin du traitement, en remplacement du précédent;
  • Esomep: des IPP car la radio avait tendance à me cramer l'oesophage, à prendre 2 fois par jour;
  • Telfast CR: des somnifères;
  • une préparation maison de l'hôpital contre les aphtes, soi-disant miraculeuse mais peu efficace à mes yeux;
  • une autre préparation buccale vite jetée car elle me semblait irritante;
  • du Dafalgan pour lutter contre les premières douleurs;
  • du Tramal, un antidouleur à base de morphine;
  • de la morphine pour terminer en beauté;
  • des laxatifs pour lutter contre les effets secondaires des médicaments à base de morphine (qui a tendance à dérégler les intestins comme tu le devines);
  • un médicament sensé augmenter ma salivation, toxique pour les reins, donc je n’y ai jamais touché;
  • un autre liquide sensé avoir le même effet mais d’une durée limitée à 30 secondes environ;
  • diverses préparations contre les mucites causées par la radiothérapie;
  • de la crème à appliquer sur les zones irradiées:
    • Biafine dans un premier temps (il me reste 95% du seul tube que j'ai reçu)
    • Flammazine dans un second temps (j'en ai encore un tube presque plein).

Ma table de chevet se remplit progressivement de médicaments et semble appartenir à un nonagénaire cacochyme. C’est simple, je suis devenu le meilleur client de la pharmacie du village qui me voit arriver tous les deux ou trois jours avec une nouvelle ordonnance...

20 décembre 2010

La troisième semaine commence. Elle dure quatre jours, mais c’est une semaine charnière. Je ne m’en plains pas trop car faire deux breaks de trois jours à Noël et en fin d'année n’est pas fait pour me déplaire. Comme je l'ai dit, le traitement n'est pas douloureux, il devient monotone à force de trajets, et insidieusement désagréable.

Lors de cette semaine, tous mes médecins habituels sont en vacances. Je rencontrerai donc leurs remplaçants.

Le mardi, je vois la première d’entre eux après plus d’une heure d’attente et plusieurs sudoku sur mon iPod. Période de fêtes oblige, l’effectif des médecins est assez réduit et je plains: ils ont leur travail en plus de celui des autres ! Bref, la doctoresse m’accueille enfin. Elle a l’air sympathique, et est en tous cas très distinguée et très élégante avec ses lunettes Chanel.

Mais apparemment mon cas ne l’intéresse pas: soit je suis incurable et il n'y a plus rien à faire, soit je ne m’en sors pas si mal… J’aurais pu arriver avec la tête sous le bras que sa réaction aurait été identique. Elle parcourt mon dossier en l’ouvrant, ce qui n’est pas sans rappeler certains profs de faculté qui découvraient au moment de l’examen le rapport technique sur lequel j’avais sué des nuits blanches entières et qui déclaraient en feuilletant le document "Nous avons lu votre rapport avec beaucoup d’intérêt…"

Pour l’instant elle parcourt mon dossier en murmurant des "Ja, ja, ja, ja". Ah oui j’oubliais: elle est Allemande.

- "OK, je vais demander les rézuldats de la vormule zanguine, un bedid moment zil vous plait" dit-elle tout en composant un numéro de téléphone et en me donnant un thermomètre que je dois glisser sous le bras gauche.

- "Ja … voui … OK … Ach je komprends…"

Elle m'explique:

- "Il y a un broblème dechnik, ils n’ont bas les rézuldats de la créatinine, mais fu ce gue vous aviez la zemaine dernière, il ne doit pas y avoir de zouzis. Vous buffez boukoup et vous urinez auzzi boukoup ? Ach parfait alors, rien ne s’obbose à la brojaine jimio de lundi. Je vais egzaminer maindenant les ganglions, … ja, voui, za va engore diminuer, gut, sehr gut, et le poids maindenant, oui, OK. Non je vois gue dout semble OK. Vous affez des guesdions ?"

- Non." (elle est visiblement surchargée alors autant ne pas trop insister).

Bref, entretien éclair de 15 minutes qui me donne vaguement l’impression de perdre mon temps et surtout qui me conforte dans le sentiment grandissant que dans des institutions médicales aussi grandes que celle-ci, les patients, nom donné aux malades qui attendent longtemps leur tour de passer en consultation, méritent bien leur appellation.

Jeudi, je demande une consultation en urgence avec la remplaçante de la Doctoresse Glücksmann car les aphtes commencent à devenir vraiment douloureux. C’est une jeune interne qui me reçoit. Elle doit avoir fini ses études lors de la dernière promotion. Elle me prescrit du Tramal et renouvelle un gargarisme maison contre les aphtes. Je la vois un peu en urgence avant une séance de radiothérapie et j’ai un peu de peine à m’en débarrasser. Tout ce que je veux c’est un antidouleur ou autre chose d’efficace contre les aphtes, mais la consultation semble se prolonger: elle ne cesse de répéter que je ne dois pas m’inquiéter, que c’est normal et que l’antidouleur prescrit me sera utile, bla-bli-bla-bla. Je finis par me lever, la remercier très rapidement, et je file en lui expliquant que je suis attendu pour ma séance de radio quotidienne...

C'est Noël et sa course aux cadeaux, et moi je cours après les toubibs et les rendez-vous médicaux...

Pour cette édition un peu particulière, je ne demande rien d'autre que cette saloperie de tumeur soit cramée par le traitement combiné.

En attendant ma chimio de lundi (autre cadeau personnel) et afin de garder l’"esprit fête" cher à une collègue de travail, je décide de m’empiffrer de foie gras, de saumon, d'œufs de lompe (après les cadeaux faits à N., je n’ai plus les moyens de m’offrir du caviar), le tout arrosé d’eau gazeuse ou de coca zéro, un coup de folie ! Mais je peux tout au plus avaler péniblement un peu de foie gras... Même ça ne passe plus très bien. Chaque jour voit son lot de surprises débarquer, qui rendent doucement mais inéluctablement de moins en moins agréable le fait de manger.

Je commence à me faire une raison et à penser douloureusement à ma PEG: je vais finir par être content de l’avoir, ainsi que me l’avait prédit une des infirmières à domicile.

 
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