Document sans nom
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Si les people parlent de leur cancer, pourquoi pas moi ?
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DerniÈre chimio

17 janvier 2011

Je me rends à l'hôpital pour mon ultime chimio (comme indiqué dans le titre, des fois que t’aurais pas lu).

J’ai droit à des formalités un peu différentes aux admissions, car je n’ai pas reçu de convocation. Va savoir pourquoi. Et pourtant j’ai fait le forcing pour en obtenir une, vu l’occasionnelle gabegie administrative de l'hôpital. J’étais bien attendu en oncologie, mais aux admissions ils n’avaient pas trace de mon arrivée. Ça se termine à peu près comme ça a débuté. Après un questionnaire administratif, je monte au 12ème étage, je tombe sur Jean-Claude Benzoni, rencontré lors de la 2ème cure. Cette fois, il se prépare à subir une autogreffe de la moelle épinière et à séjourner un mois en chambre stérile. Je me sens soudainement tout minable avec ma chimio de deux heures, mes deux séances de radio (plus que 7 à ce jour) et ma nuit sur place.

L'infirmière qui vient me chercher est Sonia qui avait été ma première infirmière de nuit. Avouons-le, ça ne me réjouit pas vraiment d'être à nouveau encadré par ce sergent-major. Je sens que la journée va être longue.

Et elle commence sur les chapeaux de roue. À croire qu'elle m'en veut, car elle m'annonce que la chambre sera pleine puisque beaucoup d'arrivées sont attendues ce jour. Je me réjouis des ronfleurs et râleurs en tous genres qui seront mes compagnons de galère d'une nuit. Je ne serai pas en reste non plus avec mes raclements de gorge et mes expectorations. Elles sont liées à mon inflammation de la gorge découverte fin décembre, et j'ai de curieuses, bruyantes et volumineuses expectorations verdâtres. Je n'allais quand même pas t'épargner ça, dis ! Mais il paraît que c'est normal aux dires des médecins, ça fait partie du traitement. En tous cas, de ses effets secondaires non annoncés, c'est certain ! Je m'imagine former un orchestre d'éclopés et de cancéreux en tous genres avec mes voisins d'une nuit.

En arrivant dans la chambre, je découvre qu'il n'y a qu'un seul patient, un prof d'économie, qui semble récupérer d'une chimio. Je reprends mon lit habituel, stratégiquement bien placé. Le rituel matinal commence par un audiogramme car j'ai bien insisté auprès du Docteur Paulsen que ma surdité partielle me pèse énormément: moi qui avais une audition quasi parfaite, je me sens vraiment handicapé. Comme je ne suis pas prévu au programme de la série de tests de la journée, je passe en premier, et donc je peux descendre sans me changer. T'as deviné hein? J'ai horreur de ces blouses d'hôpital… Cette fois c'est certain: l'examen prouve que j'ai perdu de l'audition, plus particulièrement dans les hautes fréquences. Hou que je n'aime pas ça, mais alors là, pas du tout !

Je remonte, je me change et j'enfile MON t-shirt et non pas l'abomination vestimentaire de l'hôpital. J'allume le laptop et je relève ma messagerie. Grave erreur ! Je rêve ! Comme par hasard, c'est ce jour-là que l'on me demande de faire des modifications sur plusieurs sites web dont je m'occupe. Évidemment, ce n'aurait pas pu être une semaine plus tard… Je réponds que pour l'instant,

"(...) je suis à l'hôpital où je viens de commencer ma dernière chimio. Je serai de retour demain à la casbah, mais honnêtement, là, je ne pense pas que je pourrai te mettre le site à jour avant mercredi, au vu de mon état la dernière fois.

Un nouvel arrivant arrive (désolé, je n'ai pas pu m'en empêcher). Monsieur A., que j'avais rencontré précédemment et qui m'avait expliqué le fonctionnement de la PEG, vient pour sa chimio quotidienne. Sonia revient avec une stagiaire et commence son questionnaire routinier. Je lui explique que pour les repas, il faudra m'oublier puisque je me nourris exclusivement avec la sonde, ce qui n'est pas un mal vu la cuisine des lieux. Je sais, je n'ai plus de goût, je ne peux plus rien avaler, je suis difficile en matière de nourriture et je joue au pénible, mais je ne suis pas dans un 5 étoiles non plus…

Je suis ensuite examiné par une femme médecin; elle est très jeune et ne me rassure guère. Surtout lorsqu'elle me demande si ça me gêne vraiment d'avoir perdu de l'audition. Non, mais elle se fout de ma gueule ou quoi ? Et toi ma grande, ça te dérangerait vraiment de demander une fois sur deux aux gens de leur répéter ce qu'ils viennent de te dire ? De ne plus pouvoir déterminer l'origine d'un bruit, de ne plus entendre dans les aigües alors que tu écoutais beaucoup de musique ? J'ai à peine le temps de réfléchir à la bonne réponse à donner qu'elle précise que l'on peut très bien remplacer le cisplatine par du carboplatine mais que cela va augmenter le risque de toxicité. Ahaaah ! Saloperie de chimio ! Après un quart de millième de seconde de réflexion, je me dis que je vais en rester au menu cisplatine. Finalement autant ne pas changer une équipe qui gagne, non ? Je lui réponds que tout compte fait ça n'est pas si grave que ça, pas vrai, quitte à devenir sourd comme un pot. Je me démerderai bien avec des prothèses s'il le faut. Déjà que je porte des lunettes depuis l'âge de 13 ans, j'aurai simplement les aides auditives en plus. Ne manquera plus que le dentier, la chaise roulante et je finirai en Robocop valétudinaire avant l'âge moi, merci.

Assez fatigué par tout ce qui m'arrive, j'attends que l'après-midi arrive et avec lui, la chimio. À part lire et surfer sur internet, je n'ai pas envie de faire grand-chose. Dormir peut-être et me réveiller demain matin pour rentrer chez moi ? Ou me réveiller chez moi et réaliser que tout ça n'était qu'un mauvais rêve ?

Vers les 14h00, Sonia vient avec la poche orange contenant du cisplatine. J'avoue que je redoute cette dernière chimio car la deuxième ne s'est pas trop bien passée et je me souviens des propos du patient rencontré après la première. Mais aucun vomissement ne vient crépir le mur saumon de la chambre, les antiémétiques au prix astronomique sont toujours aussi efficaces. On verra ce qui se passera demain, de retour à la maison. Après ce traitement, on m'expédie à la radio, toujours accompagné par un aide-infirmier et encombré par mon statif.

Il y a du monde qui attend cette fois: deux femmes âgées qui accompagnent un malade en chaise roulante.

Il est atteint d'une tumeur au cerveau, et il semble assez épuisé, quasi absent et indifférent à ce qui se passe autour de lui. Je m'assieds, un peu secoué par ce que je viens de voir. Jamais je ne souhaite en arriver là. Plutôt faire appel à EXIT.

Sa femme me touche l'épaule et me demande comment ça va. Je maugrée un vague "ouioui, je suis juste fatigué" et elle me dit avec le sourire: "Vous savez vous êtes jeune, vous allez vous en sortir, mais pour nous, c'est pas grave".

Et elle se lève pour pousser la chaise de son mari en salle de traitement.

Ouais, pas grave, tu parles ! On doit tous y passer, mais pas comme ça, pas finir comme un légume.

À l'issue de ma douche de rayons gamma et bêta, je remonte en chambre et Lena arrive à ce moment-là. Petite causerie en attendant mon repas Pegien nocturne, c'est vraiment de la routine pour nous maintenant. De son côté, monsieur A. râle un peu car il doit subir une transfusion de sang, sa formule sanguine n'étant pas très bonne, et ça retarde son retour à domicile.

L'infirmière du soir débarque, et ô surprise, c'est à nouveau Charlotte ! Après avoir branché la solution nutritive à ma PEG, elle examine d'un peu plus près mon cou qui a tendance à rosir. Elle insiste lourdement pour que je mette de la crème anti brûlures, trois fois par jour ainsi qu'il est prescrit pour éviter que ma peau ne brûle trop et ne parte en lambeaux. J'accepte à contrecœur, faisant davantage confiance aux coupeurs de feu. Je m'étale de la crème une fois par jour et uniquement lors des derniers jours de la radiothérapie.

Monsieur A. a enfin terminé sa transfusion de sang et part, nous laissant seuls, le prof et moi. Nous discutons peu car il n'a pas arrêté de bosser au cours de la journée à préparer ou corriger des examens. De mon côté j'ai les DVD. Finalement, les autres patients attendus ne sont pas venus, ce qui fait que nous ne serons que deux pour la nuit Je le préviens d'office que je risque d'être bruyant à cause de mes expectorations et de mes levers fréquents, mais ça n'a pas l'air de le déranger plus que ça.

Et elle débute. La nuit.

Autant dire que je la sens passer car à chaque fois que je me lève pour me rendre aux WC, je dois débrancher deux pompes: une pour l'hydratation, l'autre pour l'alimentation et j'oublie souvent l'une des deux, emportant avec moi le câble d'alimentation ou en risquant de faire tomber le statif. Je t'épargne la séance de bruits ignobles que je produis ensuite, déjà que tu as le descriptif coloré plus haut ! À cela se rajoute le fait que j'ai la bouche aussi sèche que le désert de Namibie. Ou de Gobi. Ou que le Sahara (tu choisis ce que tu veux du moment que t'as pigé l'idée). Je tente de boire de l'eau mais je manque de m'étouffer à chaque fois, ce qui m'oblige à cracher et m'entraîne dans des quintes de toux. Bon d'accord, pas à chaque fois mais presque.

Sur le coup de minuit j'ai droit à ma nausée habituelle. J'appelle Charlotte qui m'injecte un antiémétique, puis j'effectue une tentative de sommeil entre quatre et six heures du matin, autrement dit la routine.

18 janvier 2011

Vers 8h00, Sonia et sa stagiaire reviennent. Elles me prennent la tension et là je les inquiète. Dire que ma pression artérielle atteint des valeurs vertigineuses reviendrait à dire que la tour Burj Khalifa de Dubaï est élevée. Elles paniquent un poil, surtout la stagiaire, quitte à vouloir alerter un médecin. Je ne m'inquiète pas plus que ça car je sais que le cisplatine peut provoquer de l'hypertension et surtout, cette dernière est assez fréquente chez moi. Comme le CHUV n'est pas mon hôtel favori, je subis ce que les médecins appellent "l'effet blouse blanche", autrement dit le stress provoqué par la présence d'un individu se trouvant dans un milieu médical.

Après leur visite et la réunion matinale entre médecins et infirmières, la stagiaire me reprend la tension qui a cette fois légèrement diminué malgré une valeur toujours élevée. Elle repart quelque peu soucieuse. Mais aucun médecin ne se manifeste.

Un patient dans la soixantaine débarque. Il a l'air d'un vieux routinier des chimio. Sonia qui l'accueille, lui demande ce qu'il mange à midi.

- "Ah non, moi je me nourris avec la PEG.

- D'accord. Quelles quantités absorbez-vous ?

- Cinq cent millilitres d'Energy Force et mille millilitres de normal.

- D'accord, je vais vous commander une pompe. Et vous vous alimentez de nuit ? De jour ?

- Nonon je prends deux-cent cinquante millilitres toutes les demi-heures le matin, à midi et le soir avec ça."

Et il dégaine une seringue de cent millilitres, un monstre. Elle prend un ton mi-autoritaire, mi-moralisateur:

- "Aaah ! Ah ! Mais vous savez, c'est excessif ça Monsieur ! Je vais demander que l'on vous branche une pompe !

- Oah non, pas question, ça fait deux ans que je m'alimente comme ça. Et j'ai pris les produits avec moi."

Je me marre car elle commence à biffer son questionnaire, visiblement énervée de s'être fait remballer de la sorte pour un routinier des traitements médicaux lourds. Onze heures sonne. Je descends au 6ème étage pour la radio, un peu pressé d'en finir avec ce dernier séjour. À la sortie je retrouve Lena qui m'attend et nous remontons ensemble. Devant la chambre, nous croisons les médecins chargés de me libérer. Ils sont en petit concilium et ils se marrent du quadrillage laissé par le masque sur mon visage. Bande de cons ! Je voudrais vous y voir, moi aussi ! Ahahah ! Je rigole avec eux pour être certain qu'ils me relâcheront bien, des fois que je froisserais leur susceptibilité.

Armés d'une ordonnance supplémentaire, nous rentrons à la casbah en passant par la pharmacie. On va finir par me dérouler le tapis rouge et me donner la carte fidélité platinum premium special VIP !

Dès le soir venu, les effets secondaires sont bien là dans toute leur splendeur. La déglutition est quasi impossible, également pour l'eau. Je suis obligé de l'ingurgiter par la PEG mais surtout pas en trop gros volume sinon, c'est la crise de vomissement assurée et je suis bon pour tout recommencer afin d'éviter une déshydratation. Les expectorations sont elles aussi nombreuses, accompagnées de douleurs dans la gorge, la salivation se fait très rare, j'ai du carton dans la bouche, les acouphènes sont venus en famille nombreuse accompagner ma surdité grandissante, j'ai des aphtes à gogo, l'acidité gastrique atteint des sommets, etc. Bref, j'ai droit au feu d'artifice. Mais ce n'est pas le bouquet final ! Je ne peux pas croire que le pire est à venir, je suis en train de le vivre maintenant. Naïf que je suis !

Lors de l'un des derniers rendez-vous avec le Docteur Paulsen, je plaisante en évoquant la fin proche de la radiothérapie. Je lui annonce que je fêterai ça au champagne. Et hop ! Une coupette de Moët dans la PEG ! L'air de rien, il me répond que l'une de ses patientes avait un peu trop fêté la fin de sa chimio au point de se retrouver aussi sec à l'hosto pendant la nuit pour cause de coma éthylique…

Hum, soit…

Et les six derniers jours s'écoulent péniblement avec la valse des effets secondaires, les nuits de plus en plus agitées et les allers retours à l'hôpital.           

 
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