Document sans nom
patrickbays.ch
Si les people parlent de leur cancer, pourquoi pas moi ?
Document sans nom

et ras-le-bol

Au cours des jours suivants démarre le bouquet final des effets secondaires. Je touche le jackpot ! Je ne peux plus parler si ce n’est sous la contrainte des consultations médicales, et avec force expectorations. A la maison, la conversation se réduit à de longs monologues de Lena et à de brèves onomatopées de ma part.

Côté alimentation naturelle, je peux de moins en moins avaler de liquide, car ma bouche se remplit de salive que je ne peux même pas absorber. Cette dernière se réduit à des masses bulleuses de substance blanchâtre et épaisse. J’ai la gorge en feu à la moindre déglutition, même lorsque j’avale de l’eau pour faire passer les médicaments. Je crache également la salive car ça devient trop douloureux de l’avaler.

L’antidouleur prescrit ne m’est guère utile. Je passe à la morphine avec une certaine appréhension: celle de devenir accro. Et en même temps, je suis déçu. Moi qui pensais quand même planer un peu ou voir des zoziaux de toutes les couleurs traverser les murs, je ressens tout au plus une légère atténuation de la douleur, un coup de barre et de temps en temps un léger état euphorique, surtout le soir, où malgré mes soucis et mes douleurs, je vois la vie légèrement en rose. Mais ça ne dure pas très longtemps.

Pour te donner une idée de la longue liste des effets secondaires potentiels du cisplatine, va jeter un coup d’œil ici.

Mes ennuis se déroulent surtout la nuit, car ma bouche se déshydrate horriblement vite. J’ai l’impression d’avoir du papier buvard collé à la langue, à l’intérieur des joues et sur le palais lorsque je me réveille, ce qui arrive toutes les heures. Je ne peux que me rincer la bouche et cracher le précieux liquide ensuite. Ou en avaler une très faible quantité. En boire trop à la fois provoque aussitôt des toux abominables qui finissent parfois en vomissements. Et de nuit, ce n’est pas franchement sympa.

Ne dormant que très peu, je me fais réveiller le matin de manière brutale par l’alarme de fin de fonctionnement de la pompe d’alimentation. Puis je me rendors et je reste scotché au lit jusqu’à des heures indécentes, la fatigue s’ajoutant au reste. Je suis littéralement épuisé par le moindre effort. Je monte les escaliers à la vitesse d’un escargot rachitique.

Et je culpabilise de ne rien faire. Mon système digestif est également bloqué par les médicaments et en particulier par la morphine: je suis obligé de prendre des laxatifs. Et un médoc de plus, un ! Mon moral en prend un coup. J’en ai sérieusement marre. Bien que j'aie fait appel aux coupeurs de feu, la peau de mon cou est quand même un peu irritée, voire légèrement fissurée. Une nouvelle difficulté et un nouveau médicament s’ajoutent aux précédents. Une nuit, mes douleurs sont telles que je gargouille à Lena que jamais je n’aurais le courage de recommencer un tel traitement et que je préfère contacter EXIT, association dont je suis membre depuis plusieurs années.

Bref, j’ai droit à LA totale, un concentré d’effets secondaires sur une courte période. Malgré tout, au cours d'une consultation, mon médecin traitant m’annonce que j’ai étonnamment bien supporté le traitement, contrairement à la plupart de ses patients. Ah ? Et ils ont connus quoi alors ? Qu'est-ce qui pourrait être pire que ce que j'ai vécu ? Malgré tout, je ne peux pas m'empêcher de penser aux guérisseurs contactés mais je ne lui dis rien. En dépit de ce que je viens de traverser et de mon état actuel, il me pousse à recommencer à m’alimenter normalement dès que possible. Je lui cache ma joie car je suis toujours aussi dégoûté par la nourriture. Et avec l’équivalent de trois repas quotidiens ingérés de nuit, je n’ai pas faim la journée. Mais bon soit, j'essaierai, c'est lui le boss ou presque.

Vers la mi-février, je reprends mon spam avec mon entourage, abandonné depuis plusieurs jours.

Salut mes cailles,

Vous voulez des news on dirait, d'après les téléphones que je reçois, enfin les appels téléphoniques je veux dire...

Alors, pour résumer un peu (désolé pour ceux qui l'ont déjà entendu): depuis le 25 janvier, fini la radio, j'ai des contrôles hebdomadaires voire toutes les 2 semaines à l'hôpital, mais ce sont des contrôles de routine (ouvrez la bouche, poussez la langue à gauche, à droite, dites "aaaah"", dites "iiiih", ce genre de trucs où on se sent très intelligent, mais c'est plus pour savoir où j'en suis, comment je me sens, etc.). Je n'ai plus de traitement, et le seul gros examen de prévu est une IRM fin avril pour voir où en est ma tumeur. Ça je l'avais déjà dit, mais tout le monde n'a pas suivi apparemment, tsss, tsss, tsss. Et j'ai eu 2 semaines assez, non, très pénibles au cours desquelles je ne pouvais ni parler ni avaler du liquide, une gorgée d'eau tout au plus me permettait de faire passer les médicaments. Je ne vous raconte pas l'état de ma bouche la nuit et au réveil surtout.

Depuis une dizaine de jours, je peux enfin recommencer à parler et à boire, mais de l'eau uniquement, mon élevage d'aphtes me faisant sauter au plafond dès que j'avale autre chose comme du jus de fruit par exemple.

Côté nourriture, mon médecin m'incite à manger, mais comme je n'ai plus de goût, j'arrête après 1 à 2 bouchées car tout ressemble à du papier mâché. Je suis certain de pouvoir me taper un piment sans trop de soucis... En plus je n'ai pas faim: la nourriture par sonde me suffit amplement car elle correspond à 3 repas complets, donc, manger, non merci, pas trop envie. Et ça vous arrive de vous lever à 3 heures du matin pour vous taper les restes du poulet et de la salade de patates ? Ben moi c'est un peu pareil, mais ça se passe la journée. Je vais d'ailleurs négocier avec la diététicienetcne pour réduire mes doses de nutrition, histoire de m'inciter à m'alimenter normalement. Et si mon toubib me fait la morale parce que je ne fais pas trop d'effort côté nourriture solide, je vais fortement le recommander pour une radiothérapie. D'ailleurs je me dis que tous les oncologues devraient se taper une chimio et une radio pour apprécier les effets secondaires, ça pourrait leur être utile...

Voilà les dernières news du moment, je pense qu'il n'y aura rien de nouveau avant plusieurs semaines, le temps de récupérer petit à petit.

Mais je vous tiendrai informés si jamais.

A+

Patrick

Suivant le conseil de mon médecin, je tente de recommencer à manger "normalement". Certains aliments, la viande saignante en particulier, passent bien, même si le goût n’est toujours pas au rendez-vous. D’autres mets me font faire d’urgence un saut aux WC pour les recracher ou encore un saut au plafond à cause de leur acidité.

Ce n’est décidément pas encore gagné.

 
  Document sans nom