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patrickbays.ch
Si les people parlent de leur cancer, pourquoi pas moi ?
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SAME SAME BUT DIFFERENT

Littéralement, l'expression "Same Same but Different" pourrait se traduire par "identique mais différent". Elle est très utilisée en Thaïlande, en particulier lorsqu’un Thaïlandais essaie de te vendre quelque chose. Par exemple si un Thaï essaie de te vendre une fausse Rolex et que tu lui demandes si c'est une vraie, il te répondra: "same same but different". Pareil si'il te montre une orchidée et que plus tard, tu lui demandes si la fleur aux couleurs chatoyantes est également une orchidée et qu'il l'ignore, il te répondra "Same Same but Different". Tu piges un peu mieux là ? Elle peut aussi signifier n'importe quoi en fonction de l’objectif qu'il veut atteindre. Ou lorsque la personne ignore la réponse exacte à une question: en Asie, il est important de ne pas perdre la face, du moins en Thaïlande.

Les t-shirts qui se vendent avec ce texte sont le "must have" de tout touriste qui revient du pays du sourire:

Same Same but Different

Non, c'est pas moi sur la photo...

C’est un peu ce que je suis maintenant. Le même, mais différent. Je suis resté le même individu avec ses qualités et ses défauts (j'en ai des casseroles pleines), avec quelques changements mineurs. Hééé ! Ça vous change son bonhomme une secousse pareille. J’ai eu un cancer. J’ai encore un cancer. Je l’ai toujours. On n’en guérit pas. La maladie est en rémission. Je suis juste conscient de vivre avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête. C'est vrai que avant chaque visite chez l'ORL en 2011, j'étais un peu tendu. Mais depuis peu, il ne décèle aucune évolution des restes de la tumeur.

Cependant...

En janvier 2011, une gastroscopie avait permis de mettre en évidence la présence d'une métaplasie dans l'estomac. En gros, c'est une altération de la paroi de l'estomac, susceptible de virer en dysplasie. Une saloperie d'état précancéreux. Donc j'avais opté pour qu'elle me soit enlevée (je t'épargne les détails de tout le processus, c'est hors sujet).

Après l'intervention, on m'annonça que, "Ahem, comment vous dire... Nous avons découvert un nodule de nature indéterminée dans la gorge", du genre Carcinome est mon ami ! " D'où légère angoisse, t'imagine… En bon drillé des hostos, je m'étais porté volontaire pour l'incontournable panendoscopie nécessaire à déterminer la nature du nodule.

Résultat: 10 jours d'attente. Sur les nerfs. A flipper. A dormir comme une boule de nerf.

Je m'étais rendu à l'hosto, blanc comme un asticot et dans la même forme physique, pour aller écouter les douces paroles qui allaient m'annoncer la suite du programme.

Ben tu sais quoi ?

Je n'avais rien.

Rien.

RIEN.

RIEN !

Inutile de dire que j'avais chialé comme un gamin en apprenant la nouvelle, alors que je me voyais déjà revivre le calvaire des derniers mois....

Mais actuellement, en juillet 2014, et selon tous mes derniers examens médicaux multiples et variés que je me suis offerts en juin, je n'ai jamais été en aussi bonne forme. AHAHAH !

Actuellement et après toutes ces années, j'ai l'impression d'avoir démystifié la bête et vaincu certains de mes démons. Ainsi c’est donc ça un cancer ? Une chimio ? La radiothérapie ? L’alimentation entérale ? Eprouver certaines douleurs physiques, pas toujours agréables mais qui restent du domaine du supportable tout en étant parfois épuisantes, avec ou sans médocs, c’est donc ça ? Aaaah d’accord ! Ce n’est pas si terrible que ça. La preuve, je suis toujours là. Si je me suis senti bouleversifié lors de l’annonce de la maladie, autant je trouve avoir traversé relativement sereinement le traitement, en acceptant la maladie et toujours avec cette idée en tête. "C'est une maladie grave, mais je la vaincrai".

Il y a bien pire, notamment lorsque je lis que des personnes souffrent malgré les doses maximum de morphine.

Donc, depuis tout ça, une chose est certaine: j'ai nettement moins d'angoisses comme c'était le cas avant. Je me faisais du souci ou j'extrapolais des scénarios pessimistes quant au futur (dont on ne connaît strictement rien, ceci dit en passant), mais depuis que j'ai accepté de suivre le traitement à la lettre et de vivre au jour le jour en m'adaptant aux effets secondaires apparaissant progressivement, j'ai arrêté. Ça ne me sert plus à rien d'angoisser. Ou de tirer des plans sur la comète.

Avoir un cancer et lui survivre, c’est aussi dire coucou à la mort, lui faire la nique à ce truc qui t’attend toi aussi.

Tu savais ça quand même non ?

Mouahahahah !

T'en fais pas, le moment venu, tu te feras à l'idée. Ou sans que tu t'en rendes compte, clac ! Ce sera fait, tu seras dans le Long Tunnel avec la Grande Lumière d'Amour à l'Autre Extrémité...

Bref, en ce qui me concerne, je la vois différemment maintenant la mort. J’ai vu la porte qui y conduit ou du moins je suis passé devant elle sans m'arrêter, mais pour l’instant elle reste fermée et je crois même que je n’en ai plus peur, pour autant que ce fût le cas avant. Ça va m’arriver, oui et alors ?

Autant être franc, je l'ai envisagée comme issue possible au début, j’avais même écrit une lettre à mon généraliste pour lui demander son accord afin que je puisse faire appel à EXIT en cas de ticket non-retour. Mais par la suite, notamment après la panendo, je me suis dit que ce cancer, j'allais le vaincre.

C'était sans négociation, point barre.

Dès lors, en cours de traitement, demander des offres all-inclusive aux chaussures noires (aux pompes funèbres si tu préfères) de la région n’a pas figuré dans les options possibles. En somme, j'ai un peu banalisé la mort, la mienne en tous cas. Plus que jamais, elle fait partie du processus naturel de la vie, contrairement à la souffrance. Si elle me paraissait abstraite avant cet épisode et malgré la perte de plusieurs proches et connaissances, elle est bien présente. Je n’en ai pas peur, je ne redoute pas le passage, je le vois comme une étape à venir, inéluctable, incontournable. Je pense qu’IL (allusion au personnage de LA MORT dans les Annales du Disque-Monde de Terry-Pratchett) viendra me chercher plus tôt que la plupart de mes contemporains et j’avoue être très curieux de cet instant, de ce passage.

Sisi, sans déconner.

Je te sens tout chose, là. Tu préfères que je passe à un autre sujet ?

OK, alors allons-y avec les effets secondaires. C'est plus concret, tu verras. Ah oui, et je ne joue pas au Caliméro, je me contente uniquement de les décrire sans trop de fioritures. C'est à l'intention des personnes qui auront droit au même traitement.

Je commence par le moins important, surtout pour moi. Tout le monde croit qu'une chimio entraîne la calvitie. Que nenni, pas forcément ! Pas le cisplatine en tous cas. Contrairement à ce qui m'a été annoncé, ça n'a pas été le cas. J'aime mieux te le dire si tu as aussi droit à cette chimio.

Ensuite la salive. J'ai la bouche sèche ad vitam æternam. Comme annoncé, la salive n’est pas revenue à son état initial tant en terme de qualité (elle ne le sera plus jamais) qu’en terme de quantité. En 2013, j'ai appris que ce ne sera jamais le cas. Là encore je m'estime chanceux, car certains patients sont "biscuits secs" pour reprendre les termes de l'ORL qui me suit. Mon hyposialie (j'ai réussi à le placer) est relativement modérée.

J'ai ainsi toujours soit une bouteille d'eau, soit des chewing-gums avec moi, ces derniers activant la salivation. Ou alors un spray buccal, du glandosane, qui remplace la salive, mais qui n'est pas si efficace que ça. Utile en cas de déplacement ou lors de longues réunions loin des WC. Hé oui, parce que boire beaucoup implique également d'éliminer beaucoup... C'est assez variable comme xérostomie (pas mal aussi, hein ?). Généralement le matin j'ai la bouche en carton ainsi qu'après un effort, même petit ou parfois lorsque je parle trop longtemps. C'est parfois énervant mais totalement gérable. Je ne souffre pas trop non plus de dysphagie (mouârf !) pour autant que je boive suffisamment de liquide en mangeant.

Mes dents sont restées intactes, pas d'implant, rien. J'ai toujours eu de la chance de ce côté. Un seul amalgame en 50 ans !

Au dernier contrôle, la dentiste m'a demandé si je sortais de chez l'hygiéniste:

- "Honhon, he le hois 'ans un mois ("Nonnon, je le vois dans un mois").

- Impressionnant ! Si j'osais, je dirais que vous êtes ma plus belle bouche du jour !"

(DI-XIT !)

J'ai failli la mordre tellement j'ai éclaté de rire. (Mais il m'est effectivement arrivé de mordre une hygiéniste)

J’ai un traitement à vie pour contrecarrer des atteintes à mon "trésor". Il s’agit d’appliquer chaque soir une couche de fluor sur mes dents pendant dix minutes, puis de ne rien avaler pendant deux heures. Mais à force, j'avoue une certain lassitude et j'ai tendance à zapper ce traitement quelques soirs.

Au niveau de la bouche et de la nuque, je l'ai appris récemment, les tendons et muscles se sont durcis et empêchent certains mouvements. Pas douloureux, mais surprenant lorsqu'on n'est pas au courant et que l'on pense que ça vient d'autre chose.

Ensuite, l'ouïe, Louis. Je n'entends plus rien dans la gamme des hautes-fréquences à partir de 8 à 10 Mhz. J’ai effectué des tests avec des prothèses audio, mais l’inconfort était plus important que l’amélioration: je pensais récupérer ces hautes fréquences, mais il n'y a rien à faire. Ça aussi c'est définitif. Et par contre c'est plus gênant, surtout en société (ambiance resto ou réunion): la voix de mon interlocuteur est noyée dans le volume sonore et je suis obligé de lui demander de répêter (parfois à plusieurs reprises) ce qu'il me dit. Que j'écoute de la musique sortant d'enceintes à 50 CHF ou à 5'000 CHF, c'est du pareil au même. Dès les 8 à 10 MHz, je perds tout. Un peu frustrant alors qu'avant j'étais presque en sur-audition. Mais très économique en ce qui concerne le choix de systèmes Hifi ou Home Cinéma...

A cela s'ajoutent des acouphènes permanents dont le volume est peu élevé, mais dont la tonalité semble aigüe. Oui je sais, ça contredit ce que j'ai écrit plus haut, mais je les perçois ainsi.

Et pour finir: une certaine rigidité au niveau des muscles ou des tendons de la mâchoire sont apparus. Mais là encore j'ai de la chance, selon mon ORL, contrairement à d'autres patients qui ont de la peine à ouvrir la bouche en grand.

A la fin du traitement, des dysesthésies dans les pieds et dans les mains sont apparues dans le courant du mois de mars 2011. Très surprenant comme sensation: celle d’avoir toujours froid aux extrémités, même en plein été. Le cisplatine en est la cause. En 2013, tout ça a disparu.

La fatigue était omniprésente en cours de traitement: le soir je me couchais avec les poules et je dormais comme un bienheureux. Avant, il suffisait qu’une mouche se pose au plafond de la chambre à coucher pour que je sursaute. Mais depuis, il faudrait que le plafond  me tombe sur la figure pour que je me réveille. J'ai eu occasionnellement des "coups de mou" où je me sentais parfois totalement crevé, vidé, épuisé. Dans ces cas-là, l’idée de me lever pour faire à manger ou boire un verre d’eau ou me livrer à une activité quelconque me paraîssaît totalement impossible. Il ne s’agit pas de fatigue ou de coups de barre ou encore d’attaques de paupières, mais simplement de sensations d’épuisement général: plus de force, plus d’énergie, les batteries à plat.

Des problèmes de mémoire à court terme étaient également survenus: un peu comme si mon cerveau fonctionnait à la manière d’un disque dur défectueux. Les informations antérieures au traitement étaient bien enregistrées mais j’avais de la peine à mémoriser des données récentes. Par chance, cet effet a disparu assez rapidement.

J'ai senti depuis peu des faiblesses dans tout le côté droit du corps, de la tête au pied. Je suspecte que certains nerfs ont été atteints par la radiothérapie, mais il faudra que j'en parle à l'un des médecins un de ces quatre.

J'ai également consulté récemment pour une irritation buccale (bénigne) et j'ai appris que je devrais m'attendre à d'autres aphtes douloureux. A vie bien sûr.

Au dernier contrôle, j'ai appris que j'avais un Karnofsky (c'est mon dernier, promis) de 90. Pas mal non ? Sinon c'est tout, merci.

Encore une fois, si je te raconte tout ça, lectrice et –teur, ce n’est pas pour me plaindre, c’est pour te raconter ce que peuvent être les effets secondaires liés à une traversée du tropique. J’ai remarqué l’ignorance des gens (et la mienne...) à ce sujet.

On me demande souvent si je suis encore en traitement, si je prends des médicaments contre le crabe. Voire contre le scrabble (oui, c'est arrivé). Et je dois expliquer que si je prenais des médicaments, ça n’a jamais été contre la maladie, mais contre les effets secondaires du traitement. Marrant de se soigner pour lutter contre un protocole de soins, non ? J'ai également dû préciser que les séances d'irradiation étaient totalement indolores et que je ne me sentais pas l'âme d'un croque-monsieur dans son toaster.

Ma vie n’a pas changé fondamentalement non plus, ce n’est pas une renaissance, ce serait ridicule de le dire ainsi. Elle est juste légèrement différente au quotidien, pas de quoi en faire un plat ou penser à moi en termes de "Mondjeumondjeumondjeumondjeu".

 
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